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Article : [509] - La forme surcomposée


vendredi 29 décembre 2006

Par Isabelle Farizon

Il s’agissait de s’interroger sur la forme de conjugaison « j’ai eu fait ». Est-elle correcte ou non ? Est-elle désuète ou populaire ? Quelles sont ses nuances de sens ?
Synthèse mise en ligne par Valentine Dussert.

Identification du temps verbal

  Accord unanime des colistiers sur le temps : c’est une forme appelée « passé surcomposé », à valeur d’accompli dans le passé (un aspect « hyper méga perfectif » !).
  Il n’a pas le même sens que le passé composé puisqu’il exprime généralement un rapport de temps et d’aspect par rapport à lui. Les temps surcomposés expriment en effet qu’une action est antérieure et achevée par rapport à une autre action s’exprimant par le temps composé correspondant : « Dès qu’il m’a eu quitté, j’ai réfléchi que... »
  Pour plus d’éléments, voir GREVISSE, Le Bon Usage (pour qui cette forme exprime l’antériorité par rapport au temps composé correspondant) ou TOMASSONNE, Pour enseigner la grammaire (p. 292), ou encore la grammaire de DAMOURETTE et PICHON (qui évoque la notion de « bisantériorité »).
  On peut ajouter qu’il existe plusieurs temps surcomposés, à tous les modes : « J’ai eu fait », « j’aurai eu fait », « j’aurais eu fait », « avoir eu fait », « ayant eu fait »... et même au passif : « quand j’ai eu été nommé » !

Une forme désuète ou récente ?

  La majorité des réponses penche pour une apparition récente (nouvelle forme en train de passer dans l’usage), expliquée par le recul de l’emploi du passé simple et du passé antérieur dans la langue orale (d’après Le Bon Usage : comme « je mangeai » est concurrencé par « j’ai mangé », « j’eus mangé » le serait par « j’ai eu mangé »).
  Une explication développée intuitivement par un collègue :
« A quel besoin répond-il ? Parce que le passé défini (ou passé simple) est plus ou moins sorti de l’usage, au profit du passé composé (ou passé indéfini), or l’un et l’autre avaient leur valeur propre : « j’ai ouvert les fenêtres » = elles sont encore ouvertes (le présent de l’auxiliaire inscrit explicitement l’action dans son rapport avec notre présent), la formulation s’oppose à « j’ouvris les fenêtres » = elles sont fermées (passé simple = temps du récit, temps historique, l’action n’a pas été répétée, le passé est coupé du présent). Résultat, quand on n’a plus que le passé composé, la valeur qui était attachée au passé simple a disparu. Ainsi s’expliquerait l’invention du passé surcomposé : il exprime une action passée, mais terminée dans le passé, coupée du présent...
  Autre explication, encore plus affinée, en relation avec la disparition du passé antérieur :
Christian TOURATIER quant à lui, dans Le Système verbal français, signale que les formes surcomposées contiennent deux fois le morphème « d’accompli » ; l’un de ces morphèmes « d’accompli » apportant la nuance d’achevé, alors que l’autre présente la valeur temporelle d’antériorité où le morphème de « non-actuel » prend la valeur temporelle de « passé ». Il conclut qu’il n’est pas étonnant que « le passé surcomposé présente le même effet de sens de rapidité que le passé antérieur ». Il n’y aurait donc pas de différence fondamentale entre les deux constructions.
  Cette explication n’est cependant pas pleinement satisfaisante dans la mesure où ces formes se rencontrent dès le début du XIIIe siècle, bien avant, donc, le recul du passé simple. Dès lors, il est préférable de penser que ces formes ont été créées pour marquer l’accompli par rapport aux autres formes composées.

Une forme correcte ou incorrecte ?

  Malgré toutes ses attestations grammaticales, la forme ne semble pas correcte dans une proposition indépendante.
  Elle devrait plutôt être employée dans une subordonnée, par exemple : « Quand que j’ai eu terminé de lire ce roman, j’en ai aussitôt lu un autre du même auteur ».

Une forme populaire ou recherchée ?

  Pour certains, elle serait réservée à la langue orale (mais pas forcément familière).
  Mais pour d’autres, elle est recherchée - elle est du moins très abondamment représentée dans la langue écrite.

Une forme régionale ou nationale ?

  En réalité, cette formule est revendiquée comme un régionalisme... mais dans de très nombreuses régions différentes (Bretagne, région bordelaise ou charentaise, midi / sud de la France / Provence, Rhône-Alpes / Savoie, Normandie), et même en Belgique !
  Un ancien professeur d’occitan signale que le passé surcomposé est une forme attestée dans la conjugaison des verbes en oc et figure dans toutes les grammaires (notamment celle d’ANGLADE, ouvrage ancien des années 1930, qui fait référence).

Conclusion

  Consulter cette page sur les temps surcomposés (observez bien l’image et sa légende !).
  Voir enfin le sketch de Fernand RAYNAUD qui utilise avec succès cette tournure...


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