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Article : [151] - L’Illusion comique de Corneille : mise en abyme ou théâtre dans le théâtre ?


vendredi 9 juillet 2004

Par Nathalie Cornec

Il s’agissait de s’interroger sur la différence entre « mise en abyme » et « théâtre dans le théâtre », à partir de l’exemple de L’Illusion comique de Corneille.

Synthèse mise en ligne par Valentine Dussert

La différence entre mise en abyme et théâtre dans le théâtre

  Plusieurs colistiers ne font pas de différence entre les deux notions, et considèrent que le théâtre dans le théâtre est une des formes que peut prendre la mise en abyme, terme plus large qui n’est pas réservé au théâtre.
  Pour d’autres, la mise en abyme stricto sensu est à distinguer du théâtre dans le théâtre car, pour la mise en abyme, ce qui est inséré doit renvoyer à l’intrigue-cadre, comme dans certaines peintures où le personnage peint tient son propre portrait peint, qui comporte son propre portrait peint, etc. (voir aussi la célèbre boîte de fromage...). Il faut donc qu’il y ait redoublement thématique entre la pièce-cadre et la pièce-encadrée. Dans ce cas, un exemple clair de véritable mise en abyme au théâtre est la scène de meurtre jouée par les comédiens dans Hamlet de Shakespeare, qui duplique le meurtre du père d’Hamlet. L’Impromptu de Versailles de Molière peut également être cité.

Le cas de L’Illusion comique de Corneille

Les divergences observées ci-dessus se confirment pour l’analyse de la pièce de Corneille. Tous s’accordent à parler de théâtre dans le théâtre, mais l’expression de mise en abyme fait davantage problème, d’autant qu’il y a plusieurs niveaux d’enchâssement dans la pièce... Voici les réponses proposées :

  Le problème avec L’Illusion comique c’est que la scène enchâssée ne représente pas la scène enchâssante. Ce que joue Clindor n’a rien à voir avec ce que vit Alcandre. En revanche, on peut parler de mise en abyme avec le niveau III de la pièce, car Clindor, Isabelle et Lyse jouent des personnages qui ressemblent fort à ceux du niveau II (Clindor volage et inconstant, Isabelle amoureuse...). On peut également utiliser l’expression de mise en abyme pour les scènes 8 et 9 de l’acte III, car Matamore joue le double du spectateur, ainsi que de Pridamant, sur la scène du théâtre dans le théâtre.
  Dans L’Illusion comique, les aventures amoureuses de Clindor n’ont rien à voir avec les recherches qu’effectue son père : il s’agirait donc simplement de théâtre dans le théâtre. En revanche, si on se place du point de vue du spectateur, il peut y avoir mise en abyme du phénomène de la représentation (spectateur > père de Clindor > Clindor). Puisqu’un personnage est piégé par une « illusion comique », au même titre que le spectateur de L’Illusion comique, pourquoi pas mise en abyme ?
  Il me semble que l’on peut utiliser les deux expressions, théâtre dans le théâtre et mise en abyme, pour L’Illusion comique : la pièce insérée est bien en relation avec l’intrigue cadre. Beaucoup de points communs entre II, III, IV d’une part et acte V d’autre part : inconstance de Clindor, Isabelle trompée, guet-apens pour avoir Clindor... C’est presque Clindor jouant son rôle.
  Il y a bien évidemment mise en abyme et même plusieurs : Alcandre et Pridamant regardent Clindor... mais Clindor est lui-même acteur (il joue le valet soumis et admiratif) et metteur en scène (il déclenche la tirade de Matamore, joue avec son maître comme avec une marionnette) et il est aussi spectateur devant Matamore (en II, 2 celui-ci lui dit d’ailleurs « Regarde ! »). Autre mise en abyme : Clindor qui joue les amoureux devant Isabelle (acte II) alors qu’il n’est pas encore sûr de son amour puisqu’il séduit Lyse ; Lyse fait semblant de rire de la séduction de Clindor (III, 5) alors qu’elle est furieuse et blessée et crie vengeance (scène 4), le geôlier annonce à Clindor sa mise à mort alors qu’il vient le libérer... Tous jouent des rôles dans cette pièce, sauf Géronte, Isabelle et Pridamant.
  Il y aurait mise en abyme par le simple fait qu’Alcandre se fait « démiurge » de la pièce qui va (re)présenter la vie du fils terrible, de même que Clindor se fait « démiurge » de la tragédie qu’il joue tout autant, de même qu’Alcandre se situe en ouverture dans le « réel », et Clindor, une fois le rideau relevé, après la représentation, est lui aussi dans le réel mais ce second réel est une mise en abyme (jouée) du premier...D’autre part, dans la pièce, les « correspondances » entre les cinq niveaux de « réalité » sont nombreuses : niveau 1 - les spectateurs, 2 - Alcandre et le père, 3 - Clindor vit sa vie, 4 - Clindor en tragédien, 4 - Clindor en comédien, 5 (ou 0) - l’auteur...Qui joue qui (à tous les sens du verbe), selon quel schéma et quelle logique, pour quel profit (ou gratuitement) ? Ressortissant au baroque, à la complexité ornementale et « philosophique » du theatrum mundi, la pièce est aussi, à l’évidence (!), une immense mise en abyme de l’état de tout un chacun, pauvre mortel mis sur la scène du monde... niveau 6, si l’on veut.

Références bibliographiques et sites internet

  GENETTE G., Discours du récit.
  FORESTIER G., Le Théâtre dans le théâtre sur la scène française au XVIIe siècle, Droz, 1981.

  Une définition de la mise en abyme sur Lettres.net.
  D’autres éléments de définition sur la mise en abyme.
  De nombreux exemples de mises en abyme proposées par les visiteurs du Wiki d’Echolalie.


Ce document correspond à la synthèse de contributions de collègues professeurs de lettres échangées sur la liste de discussion Profs-L ou en privé, suite à une demande initiale postée sur cette même liste. Cette compilation a été réalisée par la personne dont le nom figure dans ce document. Ce texte est protégé par la législation en vigueur. Fourni à titre d’information seulement et pour l’usage personnel du visiteur, il est protégé par les droits d’auteur en vigueur. Toute rediffusion à des fins commerciales ou non est interdite sans autorisation.

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