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Le bovarysme en question


Par Elie-Paul Rouche | Mis en ligne le 23-11-2015

Madame Bovary / Flaubert



Le bovarysme en question

«Le seul moyen de supporter l'existence, c'est de s'étourdir dans la littérature comme dans une orgie perpétuelle » (Flaubert, Correspondance)
« Une âme se mesure à la dimension de son désir » (Lettre de Flaubert à Louise Colet du 21 mai 1853)



(édition pour les références utilisées ici : Madame Bovary, Garnier- Flammarion, 1966)

Après avoir tenté de donner une définition du bovarysme, nous chercherons à expliquer comment s'est révélée cette tendance de son caractère puis comment elle se manifeste vis-à-vis de Charles, de Rodolphe, de Léon, de la religion. Puis, nous chercherons à voir comment cette tendance, par une espèce de contagion due à l'auteur, se propage à d'autres personnages comme Homais ou Charles. Enfin, nous analyserons si dans ce bovarysme tant décrié, il n'y a pas quelques paillettes qui ont pu permettre à Emma de devenir meilleure.

Préliminaires
-On peut définir le bovarysme comme un état d'insatisfaction affective, sexuelle, sociale, qui conduit le sujet à concevoir des ambitions disproportionnées, impossibles à accomplir en regard de ses moyens, et que ce dernier cherche à compenser par une attitude de fuite dans l'imaginaire, fuite qui peut prendre des aspects romantiques, alimentés par les lectures, l'art, le rêve. Ce fut le cas de Don Quichotte et, en ce qui concerne notre œuvre, Emma Bovary, personnage sur lequel a été créé, par antonomase, le terme de bovarysme ou bovarisme.
Le terme est créé par Jules de Gaultier, qui perçoit les deux axes d'approche de cette tendance : la littérature d'un côté et la psychiatrie de l'autre et en donne une première définition dans son essai (1892) sur la psychiatrie : « Faculté départie à l'homme de se concevoir autre qu'il n'est ».
Ce n'est cependant pas le premier cas dans notre littérature. Balzac a signalé cette tendance, sans la nommer, dans La Femme de trente ans (1830) : Julie de Chastillon qui, après un mariage malheureux avec Victor d'Aiglemont, se retrouve frustrée sentimentalement et sexuellement. Balzac est d'ailleurs beaucoup plus réaliste que Flaubert. Si le premier amour de Julie, avec Greenville, est platonique, de sa relation avec Charles de Vandenesse, il naîtra plusieurs enfants adultérins. En outre, Balzac n'hésite pas à mentionner les frustrations sexuelles de son personnage, même sur le plan physiologique (ce que Flaubert ne fera pas ou alors il faut lire le texte en filigrane) et mentionnera, parmi les réactions psycho-somatiques de celle-ci, une métrite.

2- En quoi consiste le bovarysme d'Emma ?
On pourra constater, au cours de la lecture de l'œuvre, une espèce de crescendo dans les manifestations du caractère bovarique d'Emma.
Tout d'abord des antécédents qui remontent à son éducation et vont marquer durablement le caractère du personnage. Ainsi, apprend-on au chapitre VI, qui joue le rôle d'une analepse explicative, démontrant une fois de plus, si besoin était, que le narrateur se voulant absent est bien plus présent que dans d'autres romans, qu'Emma a eu une formation romantique durant son éducation au couvent : « la langueur mystique qui s'exhale des parfums de l'autel » (I, 6, p. 70), « les évocations d'amant céleste et de mariage éternel qui reviennent dans les sermons et lui soulevaient au fond de l' âme des douceurs inattendues » (I, 6, p. 71) ne sont qu'un prélude à une deuxième étape de sa formation, étape que l'on pourra qualifier d'autodidactique car elle n'était pas prévue au programme de son enseignement mais relève de ses polissonneries : lectures en cachette comme celle de Paul et Virginie ou d'autres romans où il n'était question que d' « amours, amants, amantes (…), troubles de cœur, serments, sanglots, larmes et baisers, nacelles au clair de lune, rossignols dans les bosquets, messieurs braves comme des lions, doux comme des agneaux (…) et qui pleurent comme des urnes. » (I, 6, p. 72) chansons galantes, romances où « il n`était question que de petits anges aux ailes d'or(…) l'attirante fantasmagorie des réalités sentimentales » (I, 6, p. 72), ou de keepsakes aux images d'Epinal (« C'était, derrière la balustrade d'un balcon, un jeune homme en court manteau qui serrait dans ses bras une jeune fille en robe blanche, portant une aumônière à la ceinture… » (I, 6, p. 73). On peut dire de cette étape préliminaire qu'elle a façonné Emma, « elle qui connaissait trop la campagne » (I, 6, p. 71), et en gardera par la suite certains traits (ses mains guère belles (I, 2, p. 49), son aptitude à tenir des comptes, par ex.) et dont l'origine sociale n'annonçait en rien semblable destin. En tout état de cause, c'est dans ces prédispositions sentimentales et romanesques qu'elle bâtira une vie, un destin et sa destruction puisque c'est à travers le prisme de ces lectures déformantes qu'elle percevra la présence de Charles Bovary comme l'illusion qu' « elle possédait enfin cette passion merveilleuse qui jusqu'alors s'était tenue comme un grand oiseau au plumage rose planant dans la splendeur des ciels poétiques » (I, 6, p. 74).
Bien entendu, elle se rendra compte assez rapidement de ses erreurs, en particulier à cause de l'ineptie de Charles et de la dysharmonie qu'il représente par rapport à ses espérances secrètes. La première remarque négative qu'elle fera sur Charles, la première d'une longue série, associe clairement la médiocrité de celui-ci à la cause de son désespoir et donc de ses aspirations à une autre vie, qui forment la matière première de son bovarysme : « Mais, à mesure que se serrait davantage l'intimité de leur vie, un détachement intérieur se faisait qui la déliait de lui. La conversation de Charles était plate comme un trottoir de rue, et les idées de tout le monde y défilaient, dans leur costume ordinaire (…) Mais il n'enseignait rien, celui-là, ne savait rien, ne souhaitait rien. » (I, 7, p. 75-76) et peu de temps après, c'est son mariage qu'elle remet en question, et déjà apparaît l'idée que ce mariage raté pourrait être compensé par l'infidélité avec un homme qui corresponde enfin à son idéal : « Pourquoi, mon Dieu, me suis-je mariée ? Elle se demandait s'il n'y aurait pas eu moyen, par d'autres combinaisons du hasard, de rencontrer un autre homme ; et elle cherchait à imaginer quels eussent été ces événements non survenus, cette vie différente, ce mari qu'elle ne connaissait pas. Tous en effet, ne ressemblaient pas à celui-là. Il aurait pu être beau, spirituel, distingué, attirant, tels qu'ils étaient sans doute, ceux qu'avaient épousé ses anciennes camarades du couvent. » (L, 7, p. 79). Elle finira par la suite par ressentir une répulsion allergique pour Charles qui, si elle n'entraîne pas de divorce, bien mal accepté pour l'époque, ne pourra se traduire que par des amours adultères : c'est ainsi qu'elle trouvera non seulement l´expression du visage de Charles stupide mais même son dos tranquille, « irritant à voir » et elle trouvera « sur la redingote toute la platitude du personnage » (II, 5, p. 135), annoncée par le fameux épisode initial de la casquette du lycéen.
On peut dire que c'est dans la mesure où elle est déçue par son mariage que s'intensifient ses aspirations à une vie plus belle, pleine d'illusions. On saisit ici un des mécanismes du bovarysme comme processus de compensation et sans garde-fou : plus la réalité est décevante et plus les illusions sont élevées et impossibles à atteindre. Elle passe ainsi d'innocentes rêveries : « elle voulut se donner de l´amour. Au clair de lune, dans le jardin, elle récitait tout ce qu'elle savait par cœur de rimes passionnées et lui chantait en soupirant des adagios mélancoliques ; » (I, 7, p. 78) à des rêves de voyages romantiques vers « ces pays à noms sonores où les lendemains de mariage ont de plus suaves paresses ! » (I, 7, p. 75). Elle est dans un état d'attente qui, par la coloration spécifique à sa personnalité, la met aux aguets de l'événement romanesque qui devrait bouleverser sa vie, en faire une grande vie, pour laquelle elle se pensait depuis toujours prédestinée : encore adolescente, à la mort de sa mère, ne se sent-elle pas « intérieurement satisfaite de se sentir arrivée du premier coup à ce rare idéal des existences pâles, où ne parviennent jamais les cœurs médiocres » ? (I, 6, p. 73), et plus tard, après son mariage, elle est toujours dans cette attente, qui a pris une couleur romantique, bon marché mais haussée de ton : « Au fond de son âme, cependant, elle attendait un événement.(…) Elle ne savait pas quel serait ce hasard, le vent qui la pousserait jusqu'à elle, vers quel rivage il la mènerait, s'il était chaloupe à trois ponts, chargé d'angoisses ou plein de félicités jusqu'au sabords… » (I,9 p. 96). Cette attente peuplée d'images d'un romantisme facile, incohérent, plutôt de mauvais goût, qu'elle a tirées de ses lectures rapides, pas toujours bien assimilées, est une autre des caractéristiques du bovarysme.
Dans cette pente de l'esprit, le bal à Vaubyessard vient marquer une acmé car il est une sorte de rêve réel où, l'espace d'une nuit, elle va vivre la vie qu'elle désire. A tel point qu'à l'instant où elle mange une glace au marasquin, elle doute même d'avoir jamais vécu à la ferme (I, 9, p. 86) et cet épisode sera une espèce de césure dans sa vie, « un trou dans sa vie », dit Flaubert (I, 8,p.89). D'ailleurs, curieusement, au bal de Vaubyessard, Emma est toute ouïe, tous yeux, tout épiderme vibrant au son des valses mais sur le lieu-même, elle « bovarise » assez peu. Ce n'est que par la suite, par effet de secondarité (cf. explication de ce terme en p. 11) rétroactive, qu' elle puisera sans fin dans ses souvenirs d'une nuit mémorable qui lui servira désormais de référence pour juger avec mépris de la médiocrité de son existence quotidienne et, plus encore, de celle que lui offre son piètre mari.
C'est après cet événement, et dans l'attente d'ailleurs vaine –pendant près d'un an- d'une deuxième invitation à un bal à Vaubyessard- qu'elle va développer une activité boulimique, pas toujours entreprise avec sérieux, car tout l'ennuie. Ses centres d'intérêt vont se déplacer successivement vers des activités, ou plus exactement des velléités d'activités-qui ont toutes une affinité possible avec le bovarysme par les épanchements de l'âme et la rêverie qu'elles pourraient susciter. Il s'agit d'abord du nécessaire à écrire, « quoiqu'elle n'eût personne à qui écrire » (I, 9, p. 94) puis de cartons à dessin, de tapisserie, de couture, de musique (I, 9, p. 96-97), ou encore, après l'achat de dictionnaires, grammaire et provision de papier blanc pour apprendre l'italien, une tentative de lectures d'histoire et de philosophie, mais les objets de ses passions éphémères terminent tous, successivement, par encombrer son armoire (II,7, p. 157). Cette propension, sans doute foncière, à l'attente et à peupler le vide de l'attente par des objets imaginaires est à rattacher à la caractéristique typique du bovarysme que nous avons signalée précédemment et sans doute cette propension à l'éparpillement, à la curiosité incessante est-elle due à l'insatisfaction permanente et inhérente, propre au caractère d' Emma.
Influence des livres
Les livres constituent sans aucune doute la partie la plus importante dans la formation de son « bovarysme », à commencer par la lecture première d'œuvres romantiques comme Paul et Virginie ou encore celles d'Eugène Sue, de Balzac et de George Sand dans lesquelles elle cherchait « des assouvissements imaginaires pour ses convoitises personnelles » (I, 9, p. 92), mais aussi le plan de Paris où elle s'imagine qu'elle « faisait des courses (…), remontait les boulevards »(I,9, p. 92) et fréquente ambassadeurs et duchesses (idem). Le problème n'est pas tant dans les lectures d'œuvres romantiques que dans la difficulté constitutive qu'elle éprouve à séparer l'imagination de la réalité. Il en sera de même lorsqu'elle verra l'oeuvre d'opéra Lucie de Lammermoor – qui d'ailleurs lui rappelle ses lectures de Walter Scott (II, 15, p. 248) et s'enthousiasme tellement qu'elle est convaincue que l'acteur Lagardy (que le narrateur qualifie pourtant de charlatan, dont la nature tient à la fois du « coiffeur et du toréador » ! (II,15, p.249)) la regarde et parle uniquement pour elle et va jusqu'à s'imaginer quelle aurait pu être sa vie avec lui (sans que l'on sache s'il s'agit du personnage ou de l'acteur mais c'est cette confusion qui constitue son bovarysme: « Ils se seraient connus, ils se seraient aimés! Avec lui, par tous les royaumes de l'Europe, elle aurait voyagé de capitale en capitale (…) elle eût recueilli, béante, les expansions de cette âme qui n'aurait chanté que pour elle seule » (II, 15, p. 251) au point qu'elle brûle de lui répondre : « Enlève-moi, emmène-moi, partons ! A toi, à toi ! toutes mes ardeurs et tous mes rêves ! » (II, 15, p. 251). Et, de même, lors de sa première infidélité avec Rodolphe, le bonheur qu'elle ressent est encore tout pétri de ses souvenirs livresques, à tel point que l'on pourrait dire que si ses illusions livresques lui ont longtemps tenu lieu de réalité, la réalité, lorsqu'elle peut enfin l'accomplir, lui tient alors lieu de prolongement livresque : « Elle entrait dans quelque chose de merveilleux où tout serait passion, extase, délire : une immensité bleuâtre l'entourait, les sommets du sentiment étincelaient sous sa pensée (…) Alors elle se rappela les héroïnes des livres qu'elle avait lus, et la légion lyrique de ces femmes adultères se mit à chanter dans sa mémoire avec des voix de sœurs qui la charmaient. Elle devenait elle-même comme une partie véritable de ces imaginations et réalisait la longue rêverie de sa jeunesse, en se considérant dans ce type d'amoureuse qu'elle avait tant envié. » (II, 9 p. 191). Là est bien le danger de son bovarysme : Emma n'existe que par référence à un modèle qu'elle n'a pas su abstraire de son contexte livresque. Elle n'a pas su tracer une frontière entre le texte et le quotidien, entre l'image et la personne au quotidien.
Et sans doute, la mère de Charles n'a pas tort lorsqu'elle signale que « ces malaises lui viennent d'un tas d'idées qu'elle se fourre dans la tête, et du désoeuvrement où elle vit » et qu'elle passe son temps « à lire des romans, des mauvais livres » (II, 7, p. 158)et la solution qu'elle propose évoque fortement (et assez comiquement) cet ancêtre littéraire du bovarysme qu'est Don Quichotte : « Donc, il fut résolu que l'on empêcherait Emma de lire des romans » et décision est même prise « d'avertir la police si le libraire persistait quand même dans son métier d'empoisonneur. » ! (II, 7, p. 158)
Nous avons vu comment Emma vivait intérieurement son idéal romantique. Nous verrons maintenant comment elle projette la recherche de cet idéal sur son entourage.


II-Les projections du bovarysme
Ces projections du monde interne d'Emma constituent une espèce de confrontation avec la réalité dessinée par les autres, généralement obstacle et garde-fous dont elle aurait eu tant besoin pour se créer une forme de vie plus équilibrée.
1) Avec la religion
Cette première recherche du monde externe s'adresse à la religion, ce qui n'est guère étonnant puisque c'est le monde où elle s'est formée et aussi celui où elle a puisé ses premières illusions. Mais le curé Bournisien a un esprit bien trop épais pour saisir la souffrance spirituelle d'Emma qui lui a pourtant bien signalé que « ce ne sont pas le remèdes de la terre qu'il me faudrait » (II,6 p. 145). Cette conception finalement romantique de la religion réapparaîtra lorsqu'elle sera convalescente après la crise nerveuse qui l'a terrassée et elle entrera en religion avec le même entrain passager et peu réaliste qui a marqué ses activités précédentes. Elle considèrera la religion comme « le bonheur des félicités plus grandes, un autre amour au-dessus de tous les autres amours… » (II, 14, p. 240). Elle aspire à rien moins qu´à «devenir une sainte » (idem), aspiration extrême qui caractérise, une fois de plus, le bovarysme qui justement lui fait perdre la notion de limite et achète chapelets, amulettes et des livres qu'elle lit précipitamment et dont elle se dégoûte bien vite et, pour cette même raison, souhaiterait même « un reliquaire enchâssé d'émeraudes pour le baiser tous les soirs » (idem).



2) Avec Léon
Plus concluante sera la recherche d'épanchement envers Léon encore que, significativement, la première étape de cette réalisation amoureuse est uniquement platonique. Significativement, car elle en est à sa première expérience amoureuse, elle agit en quelque sorte comme une adolescente : « Elle était amoureuse de Léon, et elle recherchait la solitude afin de pouvoir plus à l'aise se délecter en son image. » (II, 5, p. 140) mais ce qui est encore plus éloquent du point de vue du bovarysme est qu'elle préfère l'image au modèle, le rêve à la réalité, image et rêve qualifiés de « volupté » : « La vue de sa personne troublait la volupté de cette méditation » (idem). Il faut néanmoins tempérer la vision platonique de cette relation car déjà, annonçant la fougue et la sensualité des relations ultérieures, le narrateur annonce que « les appétits de la chair, les convoitises d'argent et les mélancolies de la passion, tout se confondit dans une même souffrance » (idem) et les descriptions des rencontres à Rouen laissent entrevoir qu' Emma a un solide appétit sexuel. La relation avec Léon lui permet surtout de mieux comprendre la médiocrité de sa vie conjugale : « La conviction où il était de la rendre heureuse lui semblait une insulte imbécile (…) N'était-il pas lui, l'obstacle à toute félicité, la cause de toute misère… ? » (II, 5, p. 141)

3) Avec Rodolphe
Bien que Rodolphe, « homme d'un tempérament brutal et d'intelligence perspicace et ayant fréquenté beaucoup de femmes » (II, 7, p. 161) ait usé avec Emma des procédés les plus faciles, les plus stéréotypés, en matière de romantisme bon marché, tout particulièrement durant la scène des Comices où il joue les solitaires, les hommes sans but, atteint d'une tristesse sans fond, qui préfèrerait rejoindre les morts du cimetière mais qu'un jour, il pourrait bien finir par rencontrer le bonheur car les âmes sœurs finissent toujours par se rencontrer comme justement elle et lui, raison pour laquelle il n'a pu partir et la laisser « car jamais je n'ai trouvé dans la société de personne un charme aussi complet. » (II, 8, p. 178). Bien que ces procédés de séduction soient des plus usés, Emma se laisse convaincre et envahir, « toute chaude et frémissante comme une tourterelle captive » (II, 8, p. 179). Par ailleurs, ces procédés sont si stéréotypés que Léon usera des mêmes pour séduire Emma : « traîner, comme moi, une existence inutile… » (III, 1, p. 260) et il envia tout de suite le calme du tombeau » (idem).
Par la suite, les élans d'Emma, excessifs comme tout ce qui concerne son caractère romantique, ne connaîtront plus de bornes. Emma sera incapable de percevoir la réalité et ne doutera jamais de la durée de l ´ « amour » de Rodolphe : « Elle devenait bien sentimentale. Il avait fallu échanger des miniatures, on s´était coupé des poignées de cheveux, et elle demandait à présent une bague, un véritable anneau de mariage, un signe d'alliance éternelle. » (II, 10, p. 198). Aveuglée par ses sentiments (en cela consiste justement le bovarysme), elle idéalisera Rodolphe au point de se soumettre à lui corps et âme : « Je suis ta servante et ta concubine !tu es mon roi, mon idole ! tu es bon ! tu es beau !tu es intelligent ! tu es fort ! » (II, 12, p. 219). Alors que Rodolphe s'est demandé, depuis le début, comment il se débarrasserait d'elle (II, 7, p. 162), Emma vit cette relation comme « si elle se réveillait en d'autres rêves » (II, 13, p. 222) et l'on connaît le long passage de ce rêve, morceau de bravoure du bovarysme : « Au galop de quatre chevaux, elle était emportée depuis huit jours vers un pays nouveau, d'où ils ne reviendraient plus. Ils allaient, ils allaient, les bras enlacés, sans parler. Souvent, du haut d'une montagne, ils apercevaient tout à coup quelque cité splendide avec des dômes, des ponts, des navires, des forêts de citronniers, et des cathédrales de marbre blanc, dont les clochers aigus portaient des nids de cigognes. (…) Ils se promèneraient en gondole, ils se balanceraient en hamac, etc… » II, 13, p. 223). Alors qu'elle pense qu'ils se voueront un amour éternel (« Nous serons seuls, tout à nous, éternellement… » (II, 12, p. 226), Rodolphe, lorsqu'il lui écrira sa lettre de rupture pensera : « Quel tas de blagues !.. » (II, 13, p. 229) et se verra obligé de laisser tomber une goutte d'eau pour imiter une larme (II, 13, p. 231). Une caractéristique du personnage bovarien est de prendre tellement ses désirs pour des réalités qu'il ne voit plus à courte distance, il est littéralement aveuglé par ses illusions.


4) Face à la mort
Sa mort, la façon de la préparer et de l'affronter achèvent la peinture du personnage archétypique bovarien. Il faut tout de même, on ne l'a pas assez dit dans les commentaires critiques, un courage exceptionnel, voire de la grandeur pour se suicider. Même si elle n'a pas saisi toute la portée de son acte, de ses conséquences quand elle demande à Justin la clé du capharnaüm, elle le fait avec « la sérénité d'un devoir accompli » (III, 8, p. 334). Ensuite, on peut dire qu'elle organise sa mort de façon théâtrale : elle écrit une lettre, fait ses adieux à sa fille, puis « elle se coucha de tout son long sur son lit » (III, 8, p. 335). Cet acte tragique est d'ailleurs préparé par un resserrement de l'action qui n'est pas sans évoquer la structure d'une tragédie : les visites successives à Maître Guillaumin, Binet puis Rodolphe, qui se soldent par des refus, resserrent l'action et précipitent la fin dans une inéluctable issue fatale. Ensuite, elle se couche sur son lit et attend les premiers symptômes de l'empoisonnement qui sont, elle en est consciente, les signaux avant-coureurs de la mort : « Ah, c'est bien peu de chose, la mort ! pensait-elle » (III, 8, p. 335). On peut logiquement penser que si elle refuse à donner toute explication à Charles alarmé, et cherche même à l'induire en erreur en minimisant la gravité de son état, c'est pour éviter de recevoir tout soin qui puisse la sauver. Remarquons que lors des premiers signes de douleurs, elle s'efforce de sourire « deux ou trois fois » et ce n'est que lorsqu'elle sent les effets irrémédiables du poison qu'elle accepte de montrer la lettre où elle a expliqué son geste. Ses réactions suivantes ajoutent à la grandeur quelque peu théâtrale, mais qui demande un immense courage, de son geste : elle a – enfin-, sans doute prise par le remords, un geste tendre envers Charles puisqu'elle lui passe lentement la main dans les cheveux. Puis elle demande à faire, ce dont elle seule mesure alors la portée définitive, des adieux à sa fille. Elle éprouve du dégoût à l'évocation de la nourrice, connotation forte par sa complicité, de ses relations adultères. L'idée qu'elle éprouve un soulagement en pensant qu'elle en aurait bientôt fini avec « toutes les trahisons, les bassesses et les innombrables convoitises qui la torturaient » (III, 8, p. 337), et qui montre bien que le sentiment dominant dans ses derniers instants est le remords, lui ajoute une certaine noblesse car elle ne s'apitoie pas sur elle-même comme aurait pu le faire tout autre personne. Autre trait final de son bovarisme, elle retrouve ses élans de mysticisme religieux (même si c'est d'un mysticisme peu élevé) : en voyant l'étiole du prêtre Bournisien, elle retrouve « la volupté perdue de ses premiers élancements mystiques, avec des visions de béatitude éternelle qui commençaient. »(III, 8, p. 342). Enfin, pareille à elle-même jusqu'au dernier moment, elle fait preuve d'une certaine hauteur en demandant un miroir où « elle se regarde quelque temps » (III, 8, p. 343), qu'il faut entendre comme elle se regarde rendre le dernier soupir, faisant par là preuve d'un courage peu commun. Même la chanson de l'aveugle, qui n´est pas un fait qu'elle a provoqué, est comme le concetti final au roman qu'a été sa vie.
Finalement, sa mort est l'acte qui, paradoxalement, prouve le mieux sa hauteur d'âme. On peut dire qu'elle a « réussi sa mort »…Entre courage et théâtralisation, cette ultime « scène » (cène ?) fait aussi partie de son bovarisme.

II- Autres personnages du roman atteints de bovarysme
On peut dire que le bovarisme irradie le roman et Emma n'est pas le seul personnage du roman dont la conduite se dévie vers un monde de fantaisie qui se détache de la réalité.
1) Léon
L'attitude de Léon envers Emma, même si elle relève des mêmes motivations que Rodolphe, à savoir parvenir à une relation intime, suit une autre trajectoire. Tout d'abord, une relation platonique qui, de part et d'autre, est empreinte d'idéalisme. Il y sans doute bien des points communs entre la jeune femme et le jeune clerc qui parlent ensemble de contemplation devant le soleil couchant au bord de la mer, de « la poésie des lacs, le charme des cascades, l'effet gigantesque des glaciers » (I, 2, p. 116), de « la musique allemande, celle qui porte à rêver » (II, 2, p. 117), puis de poésie et font des échanges de livres. Mais, au cours de leur deuxième liaison, qui n'aura plus rien de platonique (le narrateur est même plus explicite à ce sujet que pour la liaison avec Rodolphe), le bovarysme de Léon prend des dimensions insoupçonnées et rejoint une forme de romantisme dont on peut douter qu'il soit conçu comme une satire du romantisme. Ainsi, Léon voit Emma comme « l'amoureuse de tous les romans, l'héroïne de tous les drames, le vague elle de tous les volumes de vers (…) l' Odalisque au bain (…), la femme pâle de Barcelone, mais elle était par-dessus tout Ange ! Souvent, en la regardant, il lui semblait que son âme s'échappant vers elle, se répandait comme une onde… » (III, 5, p. 289) et, à la différence de la relation avec Rodolphe, on peut dire que leur amour est réciproque : « Il se mettait par terre, devant elle ; et, les deux coudes sur les genoux, il la considérait avec un sourire, et le front tendu » (III, 5, p. 290) alors qu' « Elle se penchait vers lui et murmurait, comme suffoquée d'enivrement : -Oh ! ne bouge pas ! ne parle pas ! regarde-moi ! il sort de tes yeux quelque chose de si doux, qui me fait tant de bien ! » (III, 5, p. 290)

2) Homais
Homais présente, lui aussi, des caractéristiques proches du bovarysme. Néanmoins, son bovarysme se limite à son talent professionnel. Sa prétention lui fait voir la réalité comme un monde d'ignorants qu'il ne cesse de surpasser, voire de corriger, grâce à ses connaissances. Au reste, il se prend pour un savant : « et la présence considérable des bestiaux dans les prairies, lesquels exhalent, comme vous savez, beaucoup d'ammoniaque, c'est-à-dire azote, hydrogène et oxygène (II, 2, p. 115-116) ou encore un penseur, devant le cadavre d'Emma : « Le néant n'épouvante pas un philosophe » (III,9, p.349).
Déçu de sa qualification d'apothicaire, frustré dans ses aspirations, il rêve d'être médecin : il dresse un état de santé de la région : « nous avons, sous le rapport médical, à part les cas ordinaires d'entérite, bronchite, affections bilieuses, etc… » (II, 2 ,p.115). Il se vante d'avoir écrit « un fort opuscule, un mémoire intitulé : Du cidre, de sa fabrication et de ses effets, suivi de quelques réflexions nouvelles à ce sujet » (II, 8, p. 165) et certes, si cet ouvrage lui a permis d'être reçu parmi les membres de la Société agronomique de Rouen, il se prend à rêver jusqu'où il aurait pu monter si « son ouvrage avait été livré à la publicité.. » (idem).
On sait aussi qu'il a nommé son dépôt sous les toits « le capharnaüm » et qu'il le considère comme « un véritable sanctuaire » (III, 2, p.271). Lorsqu'il doit aller à Rouen, il « ne confie son projet à personne, dans la crainte d'inquiéter le public par son absence » (III, 6, p. 301). Plus tard, « il en vint à rougir d'être un bourgeois. Il affectait le genre artiste, il fumait » et « il s´achète deux statuettes chic Pompadour, pour décorer son salon » (III, 11, p. 362), deux derniers faits que n'aurait peut-être pas reniés Emma Bovary. Il se met aussi à parler un peu argot (III, 6, p. 301). Enfin, ce qui montre au mieux ses prétentions est son désir acharné d'une décoration : la croix de la légion d'honneur et devant la lenteur du pouvoir public, «il fit dessiner dans son jardin un gazon figurant l'étoile de l'honneur » (III, 11, p. 364). Même si l'on est loin du bovarysme d'Emma qui concerne les sentiments, le mécanisme utilisé par Homais n'est pas si différent : dans son esprit, bien des choses auxquelles il aspire et qui lui semblent interdites deviennent des conquêtes quasi-réelles en les faisant passer pour telles aux yeux des autres et, peut-être aux siens. Il s'agit de croire et convaincre. Son caractère annonce par bien des points ceux de Bouvard et Pécuchet, par exemple par son appétit boulimique de connaissances : « Il se préoccupa des grandes questions : problème social, moralisation des classes pauvres, pisciculture, caoutchouc, chemin de fer, etc. » (III, 11, p.362). Il montre aussi un air de parenté avec Tartarin de Tarascon, qu'on a appelé « le Don Quichotte provençal » et dont Flaubert disait qu'il était « purement et simplement un chef d'œuvre ». Dans le brouillon de l'œuvre, Homais se rapproche du personnage shakespearien par sa conception de la vie comme une comédie :
« Doute de lui.- regarde les bocaux- doute de son existence.- ne suis-je qu'un personnage de roman, le fruit d'une imagination en délire, l'invention d'un petit paltaquot (sic) que j'ai vu naître et qui m'a inventé pour faire croire que je n'existe pas ».
«Au reste, les intrigues de Homais finissent par se révéler payantes puisqu'il finira, à force de simagrées et de discours ronflants (Flaubert parle de prostitution, III, 11, p. 364), à obtenir la croix qu'il convoitait tant sans pourtant jamais la mériter. Emma n'aura pas eu autant de chance…

3) Justin
Justin aime Madame Bovary d'un amour d'adolescent, sans espoir de retour. Il le garde secret et il verse des larmes sincères sur sa tombe, qui expriment tout le mystère de cet amour incompréhensible, impossible, un véritable idéal fait de fantasmes adolescents et de platonisme, loin des réalités terrestres : « un enfant pleurait agenouillé, et sa poitrine, brisée par les sanglots, haletait dans l'ombre, sous la pression d'un regret immense, plus doux que la lune et plus insondable que la nuit» (III, 10, p. 358).



4) Charles Bovary
S'il est un personnage dont on n'espérait pas qu'il « bovarise », c'est bien Charles. Et pourtant le bourgeois épais et insipide, transformé par la douleur de la mort de son épouse, devient un homme véritablement romantique.
On remarque ses idées romanesques lorsqu'il il exige pour Emma un enterrement en grande pompe avec sa robe de noces, des souliers blancs, une couronne, trois cercueils, une grand pièce de velours vert (III, 9, p. 346).
Lui qui semblait ne vivre que dans un présent sans résonance, lorsqu'il est placé devant le cadavre d'Emma, il revoit le passé avec une nostalgie authentiquement romantique : « Il entendait encore le rire des garçons en gaieté qui dansaient sous les pommiers (…).Il fut longtemps à se rappeler ainsi toutes les félicités disparues, ses attitudes, ses gestes… » (III, 9, p. 351).
Lui qui avait une tenue plutôt négligée, s'habille maintenant en dandy selon les « prédilections » d'Emma : « il acheta des bottes vernies, il prit l'usage des cravates blanches(…), il souscrivit comme elle des billets à ordre » (III, 10, p. 360). Il lui dresse non une tombe mais un mausolée avec « un génie tenant une torche éteinte » (III, 10, p. 365). Il passe son temps au cimetière jusqu' à « la nuit close » (III, 10, p. 365). Par une forme de transfert bien bovarien, il aurait même voulu être Rodolphe et se perdait en rêveries devant cette figure parce que c'est celle-ci qu'elle avait aimée et ainsi, « il lui semblait revoir quelque chose d'elle »(idem) et enfin, « il suffoque comme un adolescent sous les vagues effluves amoureux qui gonflaient son cœur chagrin » (III, 10, p. 366) et lorsqu'on le retrouve mort, sous la tonnelle qui a abrité ses amours, « il tenait dans ses mains une longue mèche de cheveux noirs » (idem). Le bourgeois détesté par Emma, par amour pour elle et aussi par douleur, est devenu aussi romanesque qu'elle et, sans doute, de façon sincère car de quoi meurt-il si ce n'est de la tristesse causée par un impossible amour? On peut cependant faire remarquer que ce bovarysme est encore plus idéaliste que celui d' Emma puisqu'il n'est pas tourné vers un avenir peut-être prometteur mais uniquement vers un passé définitivement révolu.

III- Le bovarysme est-il totalement négatif ?
La réponse habituelle est « oui » car le bovarysme mène le sujet dans le monde de l'illusion puis à l'échec, ce qu'a cherché à démontré Flaubert, pas toujours de façon probante, un peu comme il a eu l'intention d'écrire une œuvre réaliste et a fini par écrire une œuvre que l'on peut parfois qualifier de romantique. En effet, on pourra remarquer que c'est grâce à son bovarysme qu'Emma n'est pas restée la simple fermière qu'elle était pourtant destinée à être : elle a fait des études, elle s'est adonnée à lecture de grandes œuvres, elle a un certain port qui attire et impose le respect : « C'est une femme de grands moyens et qui ne serait pas déplacée dans une sous-préfecture», dit Homais (II,5 p. 140) montrant par là qu'elle a acquis des manières raffinées.
Rappelons cette phrase de Flaubert : « Une âme se mesure à la dimension de son désir » (Lettre à Louise Colet du 21 mai 1853). Emma a essayé de jouer la vie et d'assumer son destin sans tricher. Non seulement, elle a défié la morale bourgeoise et religieuse (comme Dom Juan) mais encore a-t-elle épousé le danger et affronté le déséquilibre de sa vie familiale, la destruction de sa tranquille existence pour tenter de parvenir à ses véritables aspirations. Que sont les autres personnages féminins du roman comparés à Madame Bovary ? Que sont Héloïse Dubuc, Madame Homais, Madame Tuvache et Lefrançois sinon de bien pâles et médiocres silhouettes de petites bourgeoises de province, sans relief ni personnalité à côté d'Emma Bovary ?
Elle a pris des initiatives qu'on a qualifiées d'immorales et sans doute le sont-elles mais il faut reconnaître qu'elles relèvent d'une rare énergie et sont, de toutes les façons le prix à payer pour lutter contre ses frustrations : elle traverse le village pour retrouver Rodolphe et elle sera vue par Binet. Elle se ruine en cadeaux et parures à la mode, ce qui la vendra (dans tous les sens du mot) à Lheureux, qui de surcroît la surprendra au bras de Léon à Rouen.
En termes de caractérologie, Emma qui combine, selon le classement déjà vieilli de Gaston Berger (Traité pratique d'analyse du caractère, 1950), les traits d`émotivité, d'activité et de secondarité, pourrait être classée dans les personnages passionnés (catégorie dans laquelle on classe habituellement Napoléon, Julien Sorel et Flaubert lui-même…), ce que tendent à démontrer ses agissements tout au long des chapitres. Il s'agit là d'un tempérament riche par l'énergie et la force spirituelle qu'il suppose. Et de fait, Emma, campagnarde, simple fille d'un fermier aisé, destinée à devenir « au mieux » une petite provinciale embourgeoisée, a su défier et vivre ses passions, avec maladresse et naïveté, certes, mais avec une énergie peu commune et cette vie pleine l'épanouit : « Jamais Mme Bovary ne fut aussi belle qu'à cette époque ; elle avait cette indéfinissable beauté qui résulte de la joie, de l'enthousiasme, du succès, et qui n'est que l'harmonie du tempérament avec les circonstances. » (II, 12, p. 222).
Remarquons également qu'au plus fort de la relation amoureuse avec Léon, elle ressent « cette insuffisance de la vie, cette pourriture instantanée des choses(…) Rien, d'ailleurs, ne valait la peine d'une recherche ; tout mentait ! Chaque sourire cachait un bâillement d'ennui, chaque joie une malédiction, tout plaisir son dégoût, et les meilleurs baisers ne vous laissaient sur la lèvre qu'une irréalisable envie d'une volupté plus haute. » (III, 6, p. 306), faisant ainsi preuve d'une extraordinaire lucidité toute flaubertienne qui l'honore.
Et de plus, elle ne perd jamais de vue son idéal, un idéal élevé, qu'elle n'a pu tirer que d'une âme toute spirituelle : « Mais, s´il y avait quelque part un être fort et beau, une nature valeureuse, pleine à la fois d'exaltation et de raffinements, un cœur de poète sous une forme d'ange, lyre aux cordes d'airain… » (idem). On a appelé cela bovarysme, terme péjoratif, mais on a aussi omis de voir tout le chemin parcouru par la jeune fermière, qui n'aura pas été dépareillée au bal de Vaubyessard, qui se montre capable de goûter des vers de Lamartine, d'apprécier jusqu'à l'ivresse un opéra ou de parler poésie.
Elle, la jeune fille solitaire de la ferme des Bertaux, la fille du père Rouault, a vite perçu, beaucoup trop vite pour s'y habituer, les défauts d'un homme en principe plus cultivé qu'elle, un médecin, elle l'a méprisé, non sans quelque raison et plus encore, elle a voulu s'affranchir de cette liaison insupportable, mettant ainsi le doigt dans un engrenage social implacable. La naïveté, la maladresse, l'inexpérience qui l'ont menée à sa perte font d'elle, pour reprendre ses propres termes, un personnage qui est plus à plaindre qu'à condamner.

Elie-Paul Rouche
Lycée Français de Caracas
[email protected]


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