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mercredi 1er mai 2019
Par Benoit d’Ancona
La question était de savoir comment faire comprendre la différence entre la littérature (qu’on l’apprécie ou non) et la mauvaise littérature. Autrement dit qu’est-ce qui peut servir d’exemple pour une dissertation notamment.
Synthèse mise en ligne par Murielle Taïeb.
Par la lecture de la paralittérature
► La toute première chose à faire, c’est de lire ces livres, romans de gare, à l’eau de rose, pour comprendre le plaisir qu’ils peuvent apporter à un lectorat peu regardant sur la qualité littéraire. « J’ai lu un Musso, un Lévy, deux-trois romans Harlequin longtemps après avoir fini mes études de lettres et commencé mon métier de professeur, je le regrette. On ne doit parler que de ce qu’on connaît. Limitez-vous à quelques titres (en lisant cela sur deux-trois semaines), cela vous aidera ! »
► « Pour ma part, je ne fais lire que des Å“uvres littéraires parce que "la vie est courte" et parce que si on ne leur en parle pas maintenant, beaucoup n’en entendront plus jamais parler. Parfois, l’intérêt des Å“uvres littéraires ne s’éclaire que bien longtemps après. Pour ma part, en 4e, je ne comprenais vraiment pas l’intérêt du Cid, mais enfin, grâce à mon professeur, j’ai su que cette Å“uvre existait. Je ne comprenais pas non plus pourquoi mon professeur de 1ère s’extasiait sur "Vous mourûtes aux bords où vous fûtes laissée"... Mais plus tard, j’ai mieux compris, ayant fait des études littéraires. »
Par la pratique
► expérimenter les consignes données aux auteurs d’Harlequin :
https://www.harlequin.fr/contenu/la-ligne-editoriale
► suivre le guide pour écrire comme Marc Lévy :
http://www.slate.fr/story/27391/je-veux-ecrire-comme-marc-levy
Par la comparaison entre des textes littéraires et paralittéraires
► glisser dans un corpus d’incipits à étudier un extrait de Barbara Cartland, ce qui permet de repérer les clichés et les effets outrés. La richesse de la littérature se déploie a contrario dans les autres extraits.
► montrer aux élèves que l’étude littéraire est bien celle de la quête du sens et pas un enseignement soi-disant scientifique de la littérature, ce qui n’exclut évidemment pas les interprétations diverses.
► consulter le "Que sais-je", aujourd’hui épuisé portant sur la paralittérature.
Par une réflexion sur les fonctions de la littérature
► « La "bonne" littérature remettrait le monde en question, ce qui peut faire référence pour le roman à la "vision personnelle du monde" de la préface de Pierre et Jean. On peut considérer aussi que dans la "mauvaise" littérature, c’est le contenu qui est toujours essentiel, jamais la forme. »
► « On pourrait peut-être dire que la mauvaise littérature ne remet pas en cause notre vision du monde. La littérature c’est la remise en cause de tout discours par une concentration de sens dans chaque phrase, à cet égard la mauvaise littérature serait celle qui se complaît dans les lieux communs ou une fonction purement ornementale. Toutefois il existe aussi, à côté de cette littérature de consommation, une mauvaise analyse littéraire, notamment celle de mes élèves, et celle - hélas de certains professionnels - qui pensent qu’ils ont analysé un texte quand ils ont décortiqué quelques figures de style... »
► « Il n’est d’abord pas tout à fait exact de dire que la mauvaise littérature ne résiste pas à l’analyse au sens où l’on n’aurait rien à en dire. On peut produire des dizaines de pages sur l’un de ces romans, témoins les innombrables travaux sur la paralittérature. Il me semble plus exact de dire que cette littérature-là n’oppose aucun noyau de mystère, rien qui défie la compréhension mais c’est sans doute ce que vous vouliez dire. Pourquoi ? Parce que cette littérature est tout entière dans les clichés, les stéréotypes, bref, l’illustration de l’idéologie dominante, quand la véritable littérature innove, crée, propose des scénarios qui ne sont jamais (entièrement) prévisibles. À cet égard, elle constitue le meilleur antidote contre la simplification, les préjugés, les idées toutes faites, et donc cette même idéologie dominante (v. Cocteau, Ponge, Meschonnic et beaucoup d’autres). « Et il suffit au poète, disait à peu près Saint-John Perse dans son discours de Stockholm, d’être la mauvaise conscience de son temps » — ce qu’il fut peu lui-même, d’ailleurs — ou Mallarmé : il n’y a que deux sortes d’écrits : « Narrer, enseigner, même décrire, cela va et encore qu’à chacun suffirait peut-être pour échanger la pensée humaine, de prendre ou de mettre dans la main d’autrui en silence une pièce de monnaie, l’emploi élémentaire du discours dessert l’universel reportage dont, la littérature exceptée, participe tout entre les genres d’écrits contemporains. » (Crise de vers). La fausse littérature, comme la publicité ou le slogan politique, est toujours réductible à son message. Le contenu y prime sur la forme.
Donc, ce qui est littérature, au sens de la valeur du nom, ce qui réalise authentiquement les valeurs de la littérature et non ce qui fait tout pour passer pour tel (Musso et autres Levy), est toujours ce qu’on lit pour la première fois, ce que l’on n’avait encore jamais lu et qui ne saurait être reproduit sous peine de tomber dans l’académisme. Critère assez simple, au fond mais qui demande certes, pour être appliqué, un peu de lectures sinon de culture. Et le « goût de l’encre » (Jean Guénot, Le Goûteur d’encre). Là -dessus, voir Meschonnic.
Cela dit, il faut sans doute tenir compte de deux difficultés supplémentaires.
1) La littérature authentique peut aussi jouer sur / avec les clichés (v. Proust, Duras, Sarraute, même Claude Simon. V. surtout Les Fleurs de Tarbes de Paulhan) mais justement elle en joue et ne s’y réduit jamais. Il existe désormais quelques dictionnaires des clichés littéraires, que vous pourriez éventuellement explorer avec vos élèves. V. les pastiches et parodies en général, par exemple Et si c’était niais ? de P. Fioretto ou le Jourde & Naulleau, Précis de littérature du XXIe siècle, 2015, Chiflet et Cie, qui vous fourniraient quelques exercices jubilatoires à faire avec vos élèves.
2) Que tout ce qui est littéraire doive être forcément nouveau n’implique pas que tout ce qui est nouveau soit nécessairement littéraire. La postérité juge, quoiqu’il lui arrive de se tromper... En effet, l’écriture peut toujours s’analyser ; voyez l’article suivant, "Comment écrire comme Marc Lévy" :
http://www.slate.fr/story/27391/je-veux-ecrire-comme-marc-levy
Mais si on applique la même méthode à des auteurs consacrés par l’institution ces dernières années, on peut vite leur trouver des artifices de style (par exemple, Laurent Gaudé).
On peut noter que contrairement à certains, Marc Lévy n’a jamais revendiqué être un grand écrivain, et insiste toujours sur le fait qu’il a des difficultés à écrire. Une piste de discussion pourrait porter sur les intentions de l’auteur et sa réception : Lévy revendique le divertissement, quelque chose qui procure un bien-être immédiat.
On pourrait par conséquent demander aux élèves si un livre crée des résonances en eux, les "travaille" après la lecture. »
Et si nous laissions les élèves libres de leurs choix…
► « Il est préférable que les élèves lisent Musso ou Lévy plutôt que rien du tout. Il est vrai qu’à leur âge ils ne peuvent ni avoir lu autant que nous ni avoir le recul nécessaire pour faire le tri. »
► « On peut aussi faire valoir qu’il est bien difficile aux lycéens de trier le bon grain de l’ivraie et que comme le dit Philippe Mangeot dans de passionnants entretiens, en enseignant nous envoyons des messages dans les étoiles.
https://www.franceculture.fr/emissions/a-voix-nue/philippe-mangeot-55-transmettre »
► « Il me semble que pour pouvoir dissocier « bonne » et mauvaise » littérature il faut avoir beaucoup de recul, ce qu’évidemment on ne peut avoir à 17 ans. Mais je me demande si c’est bien nécessaire… Quand j’étais élève j’ai cité du Guy Des cars (c’était moi aussi au siècle dernier…), avec une remarque de la professeure me conseillant d’essayer de donner des exemples plus littéraires… mais je lisais. Même si cela fait hurler certains puristes, l’important pour moi est que les élèves lisent, même si nous considérons que ce n’est pas de la « vraie » littérature : j’ai moi aussi travaillé alors que j’étais en collège il y a très longtemps sur des Harlequin pour leur montrer que tout reposait sur des clichés. Certains ont cependant apprécié les Å“uvres, et pourquoi pas ! Actuellement je dis encore aux élèves de citer des ouvrages de « littérature jeunesse » (et ce terme recouvre des Å“uvres de très grande qualité), des romans plus populaires (ce qui n’est pas péjoratif) mais de faire au moins une référence aux textes donnés dans le corpus et étudiés en cours. Combien parmi vos élèves ne lisent pas du tout ? Donc ceux qui lisent Musso, Levi ou d’autres sont sur la voie de la lecture et c’est très bien. Et d’ailleurs celle-ci doit aussi être du divertissement. Je ne suis pas sûre que nous soyons tous constamment plongés dans des Å“uvres sérieuses et c’est très bien aussi comme cela. Évidemment quand on poursuit des études de lettres on fait des différences mais je pense que le plus important est d’encourager les élèves dans leur lecture pour qu’ils ne pensent pas que ce qu’on étudie en classe est forcément ennuyeux puisque c’est choisi par la ou le professeur. Et quelle (bonne) surprise quand les élèves disent « finalement il est pas mal votre livre, Madame »â€¦ D’où aussi ma très grande inquiétude quant aux ouvrages qui nous seront imposés par la réforme et qui feront partie de la « littérature patrimoniale »â€¦ »
► « Je me suis irrité , il y a quelques années, de voir ma première ES dévorer Cinquante nuances de Grey - au lieu des Manon Lescaut que j’espérais accueillir dans mon descriptif de Bac -, et je leur ai fait remarquer combien cette production était vulgaire et chargée de poncifs. En revanche, comme miroir des fantasmes de la société américaine - l’argent, la pureté, la réussite en affaires-, ce roman est intéressant. Leur lecture n’a donc pas été totalement inutile. Au moins, ils lisaient...
Je me suis souvenu de ce que j’aimais à leur âge. Je me délectais de San Antonio - et je ris encore en relisant Baise-ball à La Baule, sublime roman. Une professeure de seconde nous avait demandé de faire un exposé sur cet auteur (en 1973...) et la classe s’était mise à lire. L’enseignante avait-elle tort ? Frédéric Dard est le Céline du pauvre, soit, je suis pauvre, et alors ? Notons aussi que la richesse est sujette à variation monétaire. En effet, Jules Verne, Maupassant, Simenon, Françoise Sagan, Lovecraft, Philip K. Dick ont longtemps été considérés comme des écrivains mineurs tandis que, en leur temps, Thomas Corneille était porté au nues et Voltaire considéré comme un grand tragédien. Oserais-je le dire ? L’image de la femme et de l’amour que recèle Belle du Seigneur me parait bien datée, même si le roman est un chef d’œuvre ; Duras m’ennuie bien souvent. Que dire de certains modernes ? Je ne comprends pas grand chose à Virginie Despentes, les bouquins de Christine Angot me tombent des mains, le dernier Goncourt a connu le même sort... Laurent Gaudé ne cède-t-il pas parfois à la facilité ? En revanche, un écrivain majeur comme Jacques Borel (pas celui des Wimpies) a enchanté mon adolescence, mais qui en parle de nos jours ?
Il est donc bien difficile de définir ce qu’est une lecture inutile ou nocive. Certaines Å“uvres nous nourrissent vraiment, d’autre nous donnent simplement d’indispensables repères intellectuels. Il y a bien sûr des Å“uvres transcendantes mais il faut, je crois, bien faire comprendre aux élèves, que tout roman est une aventure personnelle. Certains écrivains de troisième rang peuvent nous propulser vers l’avenir tandis que d’autres, célèbres, peuvent nous desservir, si l’on n’aborde pas leur Å“uvre avec un regard critique. »
Ce document constitue une synthèse d’échanges ayant eu lieu sur Profs-L (liste de discussion des professeurs de lettres de lycée) ou en privé, suite à une demande initiale postée sur cette même liste. Cette compilation a été réalisée par la personne dont le nom figure dans ce document. Fourni à titre d’information seulement et pour l’usage personnel du visiteur, ce texte est protégé par la législation en vigueur en matière de droits d’auteur. Toute rediffusion Ã
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