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dimanche 10 avril 2005
Par Philippe Cerchiari
Il s’agissait de trouver des poèmes sur le douleur de l’écrivain face à la feuille blanche - sur l’inspiration qui le fuit, sur les affres de la création artistique.
Synthèse mise en ligne par Valentine Dussert.
► ARAGON L., Les Poètes, « Celui qui chante se torture... » (chanté par Jean Ferrat).
► BAUDELAIRE C., « La Muse malade ».
► DU BELLAY J., Les Regrets, sonnet VI.
► FLAUBERT G., Lettre à Louise Collet à propos de Madame Bovary.
« Depuis que nous nous sommes quittés, j’ ai fait huit pages de ma deuxième partie : la description topographique d’un village. Je vais maintenant entrer dans une longue scène d’auberge qui m’inquiète fort. Que je voudrais être dans cinq ou six mois d’ici ! Je serais quitte du pire, c’est-à -dire du plus vide, des places où il faut le plus frapper sur la pensée pour la faire rendre.
Comme tu m’écris, pauvre chère Louise, des lettres tristes depuis quelque temps ! Je ne suis pas de mon côté fort facétieux. L’ intérieur et l’extérieur, tout va assez sombrement. La Bovary marche à pas de tortue ; j’en suis désespéré par moments. D’ici à une soixantaine de pages, c’est-à -dire pendant trois ou quatre mois, j’ai peur que ça ne continue ainsi. Quelle lourde machine à construire qu’un livre, et compliquée surtout ! Ce que j’écris présentement risque d’être du Paul De Kock si je n’y mets une forme profondément littéraire. Mais comment faire du dialogue trivial qui soit bien écrit ? Il le faut pourtant, il le faut. Puis, quand je vais être quitte de cette scène d’auberge, je vais tomber dans un amour platonique déjà ressassé par tout le monde et, si j’ôte de la trivialité, j’ôterai de l’ampleur. Dans un bouquin comme celui-là , une déviation d’une ligne peut complètement m’écarter du but, me le faire rater tout à fait. Au point où j’en suis, la phrase la plus simple a pour le reste une portée infinie. De là tout le temps que j’y mets, les réflexions, les dégoûts, la lenteur ! Je te tiens quitte des misères du foyer, de mon beau-frère, etc. Que ma Bovary m’embête ! Je commence à m’y débrouiller pourtant un peu. Je n’ai jamais de ma vie rien écrit de plus difficile que ce que je fais maintenant, du dialogue trivial ! Cette scène d’auberge va peut-être me demander trois mois, je n’en sais rien. J’en ai envie de pleurer par moments, tant je sens mon impuissance. Mais je crèverai plutôt dessus que de l’escamoter. J’ai à poser à la fois dans la même conversation cinq ou six personnages (qui parlent), plusieurs autres (dont on parle), le lieu où l’on est, tout le pays, en faisant des descriptions physiques de gens et d’objets, et à montrer au milieu de tout cela un monsieur et une dame qui commencent (par une sympathie de goûts) à s’éprendre un peu l’un de l’autre. Si j’avais de la place encore ! Mais il faut que tout cela soit rapide sans être sec, et développé sans être épaté, tout en me ménageant, pour la suite, d’autres détails qui là seraient plus frappants. Je m’en vais faire tout rapidement et procéder par grandes esquisses d’ensemble successives ; à force de revenir dessus, cela se serrera peut-être. La phrase en elle-même m’est fort pénible. Il me faut faire parler, en style écrit, des gens du dernier commun, et la politesse du langage enlève tant de pittoresque à l’expression !
Tu me parles encore, pauvre chère Louise, de gloire, d’avenir, d’acclamations. Ce vieux rêve ne me tient plus, parce qu’il m’a trop tenu. Je ne fais point ici de fausse modestie ; non, je ne crois à rien. Je doute de tout, et qu’importe ? Je suis bien résigné à travailler toute ma vie comme un nègre sans l’espoir d’une récompense quelconque. C’est un ulcère que je gratte, voilà tout. J’ai plus de livres en tête que je n’aurai le temps d’en écrire d’ici à ma mort, au train que je prends surtout. L’occupation ne me manquera pas (c’est l’important). Pourvu que la providence me laisse toujours du feu et de l’huile ! Au siècle dernier, quelques gens de lettres, révoltés des exactions des comédiens à leur égard, voulurent y porter remède. On prêcha Piron d’attacher le grelot : « car enfin vous n’êtes pas riche, mon pauvre Piron », dit Voltaire. « C’est possible, répondit-il, mais je m’en fous comme si je l’étais ». Belle parole et qu’il faut suivre en bien des choses de ce monde, quand on n’est pas décidé à se faire sauter la cervelle. Et puis l’hypothèse même du succès admise, quelle certitude en tire-t-on ? à moins d’être un crétin, on meurt toujours dans l’incertitude de sa propre valeur et de celle de ses oeuvres.
► MALLARME S., « Brise marine », « Renouveau », « Le vierge, le vivace et le bel aujourd’hui... », « L’Azur » (consulter les textes de ce grand spécialiste de l’impuissance d’écrire sur le site de l’Association des Bibliophiles universels).
► MUSSET (de) A., La Nuit de mai.
► QUENEAU, plusieurs poèmes sur l’Art poétique comme « Prenez un mot prenez-en deux », « Bon dieu de bon dieu que j’ai envie d’écrire un petit poème » (consulter aussi ce site consacré à Queneau.
Chansons
► LE FORESTIER M., « Bleues blanc pour un crayon noir » (1976).
► PERRET P., « Feuilles blanches » (1986).
Ce document correspond à la synthèse de contributions de collègues professeurs de lettres échangées sur la liste de discussion Profs-L ou en privé, suite à une demande initiale postée sur cette même liste. Cette compilation a été réalisée par la personne dont le nom figure dans ce document. Ce texte est protégé par la législation en vigueur. Fourni à titre d’information seulement et pour l’usage personnel du visiteur, il est protégé par les droits d’auteur en vigueur. Toute rediffusion à des fins commerciales ou non est interdite sans autorisation.
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