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Article : Vers une reconfiguration de l’enseignement /apprentissage du français au Maroc


jeudi 8 juillet 2010

Par Mina Sadiqui/ENS-Meknès-Maroc

Cas du français dans le cycle secondaire qualifiant.
Synthèse mise en ligne par Catherine Briat.

Partout dans le monde, les systèmes de formation sont continuellement réformés, reconfigurés de façon à pouvoir répondre aux profondes mutations d’une société qui évolue constamment.
L’école n’est plus la seule dispensatrice du savoir. Les nouveaux moyens de communication permettent d’y accéder librement En plus « la transformation sociale, liée à la croissance économique (...) rend mouvante la scène de l’école publique.les attentes sont diverses et ne s’expriment plus avec la netteté de jadis » .Partout, on est convaincu qu’il faudrait repenser l’école, redéfinir les finalités et les priorités des systèmes éducatifs, surtout revoir le rôle de l’enseignant.
Ce dernier joue un rôle important dans la détermination de l’avenir de l’éducation et le devenir de la société.
Le système éducatif marocain s’est engagé lui aussi depuis 1999 dans une réforme /reconfiguration de son système éducatif .Elle est d’ailleurs toujours en cours.
Cette réforme est recommandée par la charte nationale d’éducation et de formation. L’une de ses finalités est "la formation d’un citoyen autonome qui peut s’approprier des valeurs civiques et humaines universelles et qui est doté de compétences de communication susceptibles de faciliter son intégration dans le monde du travail".
Ainsi, au niveau du secondaire qualifiant (lycée) l’enseignement du français, à l’instar des autres disciplines, vise "une préparation efficiente à des études supérieures...et/ou pour une insertion aisée des jeunes dans le marché du travail et leur ancrage dans les valeurs universelles".
Avant de parler de la reconfiguration de l’enseignement / apprentissage du français dans le C.S.Q, nous allons d’abord parler de sa configuration avant la réforme du système éducatif.
Notons que configuration vient du verbe configurer dont le sens étymologique (latin) veut dire « modeler dans l’argile », façonner des figures.
Nous allons donc voir dans un premier temps quelles sont les figures dominantes de cette représentation à savoir l’enseignant et l’apprenant, et comment ils y sont représentés.
Dans un second temps, nous démontrerons que c’est à travers une nouvelle conception de ses deux figures que se met en place la reconfiguration de l’enseignement / apprentissage du français dans le C.S.Q telle qu’elle est prônée (sans certes être bien explicitée) par le texte officiel : les orientations pédagogiques générales, version 2002,2005 et 2007. (Notons que reconfiguration veut dire remise en cause d’un système pour le rendre plus performant).
Dans la dernière partie l’accent sera mis sur le grand décalage entre les ambitions de la réforme de l’enseignement / apprentissage du français dans le secondaire qualifiant et ce qui se fait parfois sur le terrain. Souvent dans La classe du français au lycée la reconfiguration reste encore inachevée.

I) La configuration de l’enseignement / apprentissage du français dans le secondaire qualifiant avant 1999.

a) Le texte institutionnel :
Avant la réforme, ce qui modèle d’une façon ou d’un autre les deux figures qui à notre sens détermine la représentation de l’enseignement / apprentissage du français dans le C.S.Q sont d’une part les textes officiels : les instructions officielles de 1987 et les recommandations pédagogiques de 1994, (instruction officielle : directives, Consignes directement exécutables émanent d’une autorité supérieure / recommander : conseiller avec insistance) et d’autre part les manuels agrées par le ministère. Ils sont conformes aux programmes officiels et incarnent l’esprit des textes institutionnels.

b) Un objet d’enseignement/apprentissage : le manuel :
Certes le manuel est souvent considéré comme un produit rassurant qui conforte le professeur dans ses habitudes.
C’est un médiateur de savoir, un réservoir d’exercices. Il propose surtout des modèles de progression et des démarches d’apprentissage. Il propose des choix didactiques et pédagogiques. Alors L’enseignant souvent fait figure de l’utilisateur passif et le conçoit comme document de référence au niveau des supports/démarches et même de l’évaluation.
La figure de l’enseignement maîtrisant la mise en Å“uvre pédagogique est confisquée.

c) Enseignant / apprenant : des utilisateurs souvent passifs :
Le professeur souvent ne fait que subir le manuel, il va aussi le faire subir à l’apprenant.
Ce dernier subit ainsi un « savoir » pas très clairement structuré. Les manuels contiennent souvent un flot de documents dont la construction et la présentation des savoirs n’est pas tout à fait cohérente.
Si on ajoute à ses documents la présence du guide d’accompagnement, très prescriptif, qui explicite de façon très rigoureuse le déroulement de la séance, abstraction presque faite de l’instance « Ã©lève », on comprend que ce sont les contenus qui s’avèrent être le premier objectif de tout apprentissage. C’est une pédagogie des contenus qui est mise en exergue.la définition des contenus s’effectue en fonction des exigences de la discipline.
Ces contenus sont présents et délimités. C’est un programme que l’enseignement est appelé à transmettre à son élève comme le manuel est sensé le transmettre à lui et à l’élève. Cette relation passive au savoir ne peut qu’inhiber le potentiel réflexif et chez l’enseignant et chez l’apprenant.
Or, l’autonomie du professeur est le levier fondamental pour rendre l’école un lieu où se crée l’autonomie intellectuelle de l’apprenant où se construit son identité personnelle et sociale « l’ardente obligation de la mission éducative d’une nation : donner un sens à ce qui se transmet et rendre les futurs citoyens autonomes pour que chacun dispose des moyens de ses ambitions et trouve sa place dans la vie »
Former des individus autonomes et responsables constitue depuis longtemps une des grandes finalités affichées de l’école.
Une reconfiguration du système s’est avérée indispensable de façon à le rendre plus performant.

II) Pour une reconfiguration de l’enseignement /’apprentissage du français au Maroc :

a) Les Orientations Pédagogiques Générales : l’esprit de la réforme :
Le texte officiel, les Orientations Pédagogiques Générales (Orienter : indiquer une direction, guider / laisser une marge d’initiative), met en place de nouveaux programmes. Il introduit de nouvelles démarches d’enseignement / apprentissage du français qui ne sont certes que suggérées. Plutôt que "d’intervenir dans des activités répétitives et traditionnelles et décontextualisées " le professeur est "appelé à faire de l’élève l’acteur principal de son apprentissage".
La concrétisation de l’esprit novateur de la réforme se fait, à notre sens, à travers l’introduction d’un nouvel objet d’enseignement : l’Å“uvre intégrale : « l’Å“uvre intégrale est à la fois (...) une des finalités de l’enseignement du français dans le secondaire qualifiant (...) et le support principal des diverses activités qui caractérisent cet enseignement".
Tout en proposant ce nouvel objet /support, le texte officiel invite (sans pour autant expliciter clairement le comment) les enseignants du français à repenser leur dispositif didactique de façon a mieux gérer les nouvelles situations d’apprentissage qu’il peut /doit créer.

b) L’apprenant, une nouvelle figure :
L’élève doit être le centre de l’action pédagogique et l’acteur de son propre apprentissage .Cette conception induit une relation pédagogique spécifique.
D’abord au niveau des objectifs, ce sont les besoins de l’apprenant qui doivent guider la pratique enseignante et l’orienter.
Ensuite, au niveau des modalités de fonctionnement de la classe, le texte officiel insiste sur le développement de l’autonomie de l’apprenant. Ceci implique la mise en place d’une démarche de recherche où l’apprenant s’implique et s’investit pour construire son propre savoir « Pour être motivante, une activité d’apprentissage doit (...) responsabiliser l’élève en lui permettant de réaliser des choix(...) présenter un défi pour l’élève »
Il devient acteur de son propre apprentissage et se transforme en producteur de savoir.
Mais pour que l’apprenant réussisse dans cette nouvelle démarche, le professeur est invité à changer de rôle. Il ne doit plus se considérer comme détenteur du savoir mais plutôt comme gestionnaire de situations d’apprentissage.

c) L’enseignant, moteur de la transformation.
L’enseignant est appelé donc à mettre en place des approches qui déclencheraient le processus non celles qui imposeraient un procès.
Nous avons déjà signalé que l’école n’est plus seule détentrice du savoir. L’autorité de l’enseignant doit alors se reconstituer sous d’autres formes : maîtrise des démarches intellectuelles, invention de nouvelles méthodes de travail et surtout de nouvelles méthodes de gestion des nouvelles situations d’apprentissage.
Cependant dans la réalité, nombreux sont les décalages entre ce que le texte officiel préconise ; sans insister sur le comment ; et quelques pratiques effectives de classe.

III) Une reconfiguration inachevée :

a) Absence d’une démarche didactique
L’introduction de ce nouvel objet d’enseignement : l’Å“uvre intégrale, cause d’énormes problèmes au niveau de la gestion pédagogique de la classe de français.
Comment gérer les diverses situations d’apprentissage du français à partir de cet objet d’enseignement ?
Commet faire d’un seul objet d’enseignement le support fondamental de toutes les activités de classe sans tomber dans l’incohérence ?
Comment impliquer un élève souvent réticent car ne comprenant toujours pas pourquoi on lui demande de faire des recherches à un certain moment, et pourquoi on travaille sur tel extrait plutôt que sur tel autre. ? Les contenus de l’enseignement proposé lui apparaissent souvent disparates et donc forcement insignifiants.

b) Enseigner le français au secondaire, persistance de la figure « traditionnelle »
Dans l’enseignement de l’Å“uvre intégrale, deux grandes dérives guettent l’enseignant : la première concerne le lancement de la lecture de l’Å“uvre, la seconde est liée à la lecture des extraits et au choix des groupements de textes à proposer.
Ainsi, on remarque que nombreux sont les enseignants qui proposent, comme première activité pour inaugurer la lecture de l’Å“uvre, un « discours magistral », sous forme d’exposé pris en charge souvent par des élèves sur la vie de l’auteur, ses Å“uvres, son courant littéraire....une sorte de cours « d’histoire littéraire » qui constitue selon eux, la meilleure façon de favoriser l’accès au sens du texte, et c’est leur manière de cultiver l’autonomie de l’apprenant. Mais que peut-on déduire de cette pratique ?quelle relation pédagogique met-elle en place ?
Certes, cette méthode incite les élèves à faire des recherches .Mais est ce qu’ils comprennent vraiment le pourquoi du savoir recherché ? Est ce qu’on ne les réduit pas ainsi, comme les autres qui vont les écouter à des consommateurs d’informations ?
Nous nous retrouvons face à une relation pédagogique purement transmissive qui ne propose aucune réflexion rigoureuse sur les sens du savoir à mobiliser ou à construire dans une classe. On agit comme si les savoirs étaient le premier objectif de toute pratique enseignante, et comme s’il il suffisait de les proposer à l’apprenant, avant la lecture de l’Å“uvre pour qu’il se « les approprie ».
Le principe de la réforme de ’enseignement /apprentissage du français au Maroc est de créer un lecteur autonome qui doit manifester une relation active au savoir. Un lecteur autonome doit réfléchir avant de construire une signification. Il ne doit pas retrouver un sens imposé dès le départ. Apprendre ce n’est pas « accumuler et (...) mémoriser des connaissances, mais consiste (...) à développer (...) des méthodes de travail (...) de raisonnement, à apprivoiser des démarches de résolution de problèmes » ( ). L’apprenant continue à subir un savoir/procès et ne rentre pas dans le processus de construction du sens. « Une signification n’est pas donnée, ni à donner d’avance (...) une interprétation se cherche et se construit dans le contact permanent avec le texte » ( ).
La seconde dérive que l’on remarque dans certaines pratiques de classe apparaît au moment de la lecture des extraits dans le cadre de l’approche globale de l’Å“uvre.
Dans ce cas, l’extrait est souvent « proposé » sans aucune vraie indication sur sa fonction à l’intérieur d’une unité plus large, et sans aucune précision sur la manière dont il fonctionne par rapport à cette unité(sauf si on considère qu’a chaque fois qu’on recourt au schéma narratif c’est la façon de situer ) Toute lecture « doit mettre au premier plan la prise en compte de la spécificité du texte à lire et le développement du processus de construction de sens. »
Souvent la lecture de l’Å“uvre devient insignifiante puisque fragmentée et n’arrive pas à esquisser la particularité de l’Å“uvre et en conséquence à justifier les choix des autres activités de classe à programmer, des autres groupements de texte à intégrer, des autres supports audio ou iconiques ou autres à exploiter.
Concevoir la lecture de l’Å“uvre intégrale de cette façon, c’est l’altérer, c’est déformer la conception du monde qu’elle véhicule et la vider de sa dimension culturelle. On peut facilement comprendre la réaction de l’apprenant dans une situation pédagogique pareille. Il ne comprend pas le pourquoi des « choix » effectués soit au niveau des supports des activités ou même au niveau des activités elles-mêmes. Comment peut-on lui faire acquérir cette capacité réflexive si dans la plupart des pratiques pédagogiques mises en Å“uvre on a encore du mal à trouver un fil directeur qui tisserait le lien entre toutes nos activités, même celles à faire hors classe, qui donnerait du sens à tous nos choix didactiques et pédagogiques : « Apprendre, c’est trouver du sens dans une situation d’enseignement ».
On n’est souvent loin de construire .on continue à donner des "savoirs gratuits" et à vérifier l’acquisition des contenus disparates. Le passeur de sens demeure la figure dominante.

Conclusion
Pour donner du sens à ce que nous enseignons à partir d’une Å“uvre intégrale il faudrait mettre en place ’un dispositif d’apprentissage qui tisserait les liens entre toutes nos activites. Cette notion constitue, à notre sens, un des éléments fondamentaux de la reconfiguration de l’enseignement /apprentissage de l’apprentissage du français dans le cycle secondaire qualifiant, qui vise d’abord l’autonomie de l’enseignant et en conséquence celle de l’apprenant.

BIBLIOGRAPHIE

  Develay, M. Peut-on former des enseignants ? ESF éditeur ; Paris, 1994
  Collectif ,Le projet pédagogique en français, B.L,1993.
  Collectif, Enseigner la littérature, CRDP, Midi-Pyrénées, 2000
  Collectif, Des pratiques pour l’école d’aujourd’hui, De Bock, 2006.
  Collectif, Des compétences pour enseigner entre objets sociaux et objets de recherche, Presse universitaires de Rennes, 2007,
  Harrouchi, M. La pédagogie des compétences, éd .de fennec, 2003.

Documents officiels
  MEN, La charte nationale pour l’éducation et la formation, le livre blanc ,1999
  MEN, Les orientations pédagogiques générales pour l’enseignement du français dans le cycle secondaire qualifiant, 2007 ,2005et 2002
  M.E.N, les recommandations pédagogiques relatives à l’enseignement du français dans le secondaire ;1994
  MEN, Les instructions officielles, 1987
  Collectif, Enseigner la littérature, CRDP, Midi-Pyrénées, 2000, p.161.


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