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Article : [571] - Textes résistant à l’interprétation


jeudi 3 juillet 2008

Par Emmanuelle Roussel

Il s’agissait de recenser des textes « résistants » en lien avec les objets d’étude de la classe de Première, qui posent de vrais problèmes d’interprétation et suscitent des contresens importants en commentaire.
Synthèse mise en ligne par Valentine Dussert.

UN ARTICLE CRITIQUE SUR LE SUJET

  L’article de Yves REUTER, « L’explication de texte au lycée, propositions » (Textuel n°20, 1990), recommande l’emploi de textes difficiles, qui résistent aux lecteurs.
  Quelques notes sur une partie de l’article intitulée « De l’intérêt des textes difficiles » :
*Pourquoi le blocage des élèves face à l’explication de texte ?
Yves Reuter en revient à l’idée commune chez les élèves : pourquoi expliquer ce qu’on a compris ? Il s’agit alors pour l’élève d’expliquer ce qu’il ne ressent pas le besoin d’expliquer.
L’artificialité de la situation d’énonciation dans laquelle se trouve l’élève est aussi bien montrée : il s’agit pour lui d’expliquer quelque chose à quelqu’un qui en sait plus que lui.
Dans l’exercice tel qu’il est conçu, il s’agit moins de comprendre le texte que de valoriser ce qui est littéraire.
*Yves Reuter envisage deux types de textes difficiles :
Les textes du passé : « nous croyons à leur intérêt en pensant néanmoins que l’on met les apprenants dans une situation d’une difficulté considérable tant les obstacles sont accumulés ».
Des textes d’avant-garde qui provoquent une situation où « l’apprenant dit ce qu’il ne comprend pas, plutôt que le sens dont il estpère qu’il est attendu par le maître. »

EXEMPLES DE DIFFICULTES REPEREES PAR LES PROFESSEURS

Des textes paradoxaux

  CELINE L.-F., Voyage au bout de la nuit : la description des couchers de soleil africains (« Les crépuscules dans cet enfer africain se révélaient fameux... ») - comme il est convenu qu’un coucher de soleil est beau et romantique, les élèves ont beaucoup de mal à accepter la vision cauchemardesque, grotesque et pitoyable qu’en donne Céline, et ne saisissent pas toujours l’ironie caustique de la fin (« J’étais servi, moi qui n’aimais pas la campagne »).
  COHEN A., Solal (chapitre XXIV, ed. Folio pp. 284-286) : un monologue intérieur de Solal sur le mariage destructeur de l’amour (« Pourquoi avaient-elles toutes cet eczéma de mariage ? »), qui a de bonnes chances de choquer nos élèves les plus conformistes ou de provoquer des incompréhensions.
  HUGO V., Les Contemplations, « L’araignée et l’ortie ».
  LAUTREAMONT, Les Chants de Maldoror : de nombreux passages « résistants » (éloge du pou, de la saleté).
  RABELAIS F., Le Tiers Livre : l’éloge des dettes que fait Panurge au chapitre III offre une argumentation sophistique difficile à démontrer.
  VOLTAIRE, Dictionnaire philosophique, article « Egalité » : les élèves ont du mal à accepter qu’un philosophe des Lumières fasse (dans une certaine mesure) l’éloge de l’inégalité, nécessaire pour l’équilibre de la société, donc ils ont tendance à fausser le sens du texte, voulant à tout prix démontrer que Voltaire défend le principe d’égalité, les droits de l’homme...
  VOLTAIRE, Le Mondain : propose un éloge des plaisirs de ce monde que bien des élèves se refusent à prendre au sérieux.

Des textes ironiques

  CAMUS A., La Chute : roman-monologue et ironique qui commence par « Délicieuse maison n’est-ce pas ? Les deux têtes que vous voyez là sont celles d’esclaves nègres. »
  DESPROGES P., Dictionnaire superflu à l’usage de l’élite et des bien nantis, article « Afrique » (très peu d’élèves saisissent l’ironie et l’humour du texte, comme pour « De l’esclavage des nègres » de Montesquieu).
  MONTESQUIEU, L’Esprit des lois, « De l’esclavage des nègres ».
  SWIFT J., Modeste proposition pour empêcher les enfants des pauvres....
  VOLTAIRE, De l’horrible danger de la lecture.
  VOLTAIRE, Jeannot et Colin : voir l’extrait concernant l’enseignement du latin, dont les élèves saisissent mal l’ironie, croyant que Voltaire est contre son enseignement et qu’il juge l’instruction inutile...

Des textes aux contenus implicites

  COHEN A., Belle du Seigneur : le passage où Solal critique le comportement des femmes devant la belle Ariane qu’il cherche à séduire. Il leur reproche de ne s’attacher qu’à des questions de « centimètres » en plus ou en moins (« Oui, Madame, trente-cinq centimètres de viande en moins et elle se fiche de mon âme et elle ne se mettra jamais devant ma poitrine pour me protéger des balles d’un gangster. ») - ce qui laisse les élèves errer dans de multiples interprétations...
  DAUDET A., La Légende de l’homme à la cervelle d’or (donné au bac en 2006) : la morale implicite illustrant la condition de l’artiste n’a pas été vue par nombre d’élèves.
  Toute fable ou apologue dont la morale n’est pas formulée explicitement.

Des textes qui rompent avec les codes esthétiques

  Textes d’avant-garde du XXe siècle (Yves Reuter), notamment au théâtre :
*Des scènes a priori incompréhensibles au premier degré, pour obliger les élèves à chercher d’autres pistes d’interprétation, mais sans extrapoler) : BECKETT S., Fin de partie (le début) ; IONESCO E., La Cantatrice chauve (la fin).
*GENET J., Les Bonnes : les élèves ont tendance à en faire une lecture sociale rejetée par l’auteur (de plus la complexité des registres y est intéressante).
  Le mélange des registres :
*APOLLINAIRE G., Poèmes à Lou, « Quatre jours mon amour pas de lettre de toi... » : tragique (le contexte guerrier et les peines de cÅ“ur du poète) dans un texte qui pourtant ne manque ni d’humour ni de fantaisie.
*RABELAIS F., Pantagruel : le dilemme de Gargantua à la naissance de son fils (chapitre III), où les élèves peuvent ne voir que du pathétique et du tragique, gommant la dimension comique du texte.

Des textes difficiles en raison de leur langage ou des contextes ignorés par les élèves - « textes du passé » selon Yves Reuter

  RONSARD (de) P., « Quand vous serez bien vieille... » : par incompréhension du langage, certains élèves croient qu’Hélène est devenue servante parce qu’elle avait refusé les avances de Ronsard.

Des textes poétiques qui bouleversent le langage

  MICHAUX H., « La Mitrailleuse à gifles », « Clown », « Le Grand Combat »...
  RIMBAUD A., « Le Bateau ivre ».

Merci à tous les contributeurs : Nathalie Denizot, Véronique Wodon, Micheline Guilpain-Giraud, Anny Tracol, Martin J.M, Nathalie Lebailly, Dominique Blanzat, Michel Rigaux, Isabelle Farizon, Nicole Kerouredan, Liliane Martinet, Sophie Bernet, Delphine Dechance.


Ce document constitue une synthèse d’échanges ayant eu lieu sur Profs-L (liste de discussion des professeurs de lettres de lycée) ou en privé, suite à une demande initiale postée sur cette même liste. Cette compilation a été réalisée par la personne dont le nom figure dans ce document. Fourni à titre d’information seulement et pour l’usage personnel du visiteur, ce texte est protégé par la législation en vigueur en matière de droits d’auteur. Toute rediffusion à des fins commerciales ou non est interdite sans autorisation.
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