Par Danièle Langloys | Mis en ligne le 01-11-2008
Synthèse des échanges sur Roméo et Juliette
1) Les oiseaux
►Les élèves ont remarqué beaucoup d'allusions aux oiseaux comme métaphore et cherchent le sens à leur donner.
Nous avons parlé du Rossignol et de l'Alouette III,5 qui symbolisent le jour et la nuit, mais également évoqué l'idée de métaphore pétrarquisante. Puis Juliette dans l'acte II, scène1 nomme Roméo un "noble tierclet" (= faucon pélerin) et se compare à un fauconnier qui ne peut le rappeler. C'est encore je pense un reste de pétrarquisme, la jeune fille dominant son faucon. Mais aussi idée de pèlerinage et d'errance qui correspond bien au Roméo pélerin. De même Roméo va appeler Juliette "son tout petit gerfaut"= (petit faucon encore au nid)
Avez-vous d'autres interprétations ? Ai-je raison ? Voyez-vous d'autres occurrences de ce motif ?
►On peut trouver des éléments de réponse dans l'article "fauconnerie" du dictionnaire de Shakespeare, édition des oeuvres complètes de Shakespeare, Tragédies, tome1, R. Laffont, coll. Bouquins.
L'article ne rattache pas directement ces métaphores au pétrarquisme mais au goût de l'époque élizabéthaine, et de Shakespeare en particulier, pour la fauconnerie. L'auteur de l'article explique que Sh est sûrement un connaisseur, capable de mentionner des variétés précises - et non les plus courantes-, et très souvent en rapport avec le dressage et la chasse. Une grande partie de l'article est consacré à expliquer ce qui distingue tiercelet, niais, haggard..., les différentes chasses au faucon... Voici la conclusion : "Dans Sh., les références à la fauconnerie sont généralement métaphoriques et, si la hauteur à laquelle s'élève le rapace évoque l'ambition et le goût du pouvoir chez l'homme, c'est évidemment le dressage qui se prête le mieux à une explication imagée". Par exemple, les termes employés en II, 1 aux vers 204 (tassel-gentel, traduit par tiercelet = faucon mâle) et 212 (nyas, traduit par oiselet=faucon niais) sont des termes précis de fauconnerie renvoyant respectivement à Roméo et Juliette. Ils sont très précisément expliqués dans le corps de l'article : par exemple, "l'oiselet qu'on prend dans l'aire, emplumé mais avant qu'il sache voler est dit "niais", du latin nidax. (...) Le niais est d'abord affamé, puis nourrie parcimonieusement de viande crue qu'il lui faut déchiqueter sur le support où elle est fixée" etc etc.
►Il me semble qu'il s'agit de la "langue des oiseaux", péjorativement appelée jargon (du jars) dont l'emploi métaphorique correspond à un registre lyrique (langage codé des amoureux, dans la tradition courtoise des troubadours et trouvères, qui a précédé le pétrarquisme) ou mythique (relevant dans ce cas d'une mystique déterminée cf "La conférence des oiseaux" du persan Attar, par exemple). On peut parler à propos de ce phénomène d'un invariant poétique, assez universellement employé.
Dans tous les cas bien sûr, la signification est de l'ordre de l'élévation-sublimation.
2) les 42 heures et les problèmes de temporalité
Si cela peut être utile, j'ai fait ce tableau pour repérer les indices donnés dans le texte (les pages sont celles du livre de poche) et à part cette difficulté à faire tenir exactement 42 heures de sommeil..., il me semble que cela colle avec le texte. Cette histoire d'avancer le mariage me paraît assez clair dans la scène 2 de l'acte IV avec la remarque de la Nourrice et la réaction du père comme de la mère ; et là est aussi l'ironie tragique : c'est parce que Juliette feint d'accepter le mariage que son père l'avance, précipitant les choses et précipitant ainsi le drame.
Après le repérage, reste évidemment le plus important : l'interprétation de ce rythme dramatique, avec ses accélérations et distorsions, l'interprétation du resserrement de l'action et surtout (ce qu'en dit Luc Fraisse) cette impression persistante du "trop tard et pourtant trop tôt" qui traverse la pièce. Et peut-être même l'invraisemblance qui fait partie du jeu !
TEMPORALITÉ
Dimanche I, 1
I, 2
I, 5 9h première rixe
AM invitations pour le bal du soir
Soir/Nuit bal / rencontre de Roméo et Juliette Neuf heures viennent de sonner p. 32
" fête nocturne " dit Roméo sc 4 p.51
Lundi II, 1
II, 2
II, 3 et 4
III, 1
III, 4 Nuit Aube scène du balcon
Tôt le matin : visite de Roméo à Frère Laurent pour lui demander de le marier à Juliette
AM :
• Mariage de Roméo et Juliette
• Bagarre : mort de Mercutio puis de Tybalt, 1 heure après le mariage
• Bannissement de Roméo
• Décision de Capulet de marier Juliette à Pâris le jeudi " l'écran de la nuit " / " le manteau de la nuit " / " c'est presque le matin " p.73
" consens à sceller notre union dès aujourd'hui " p. 76
annoncé p. 88 (II, 3) cet après-midi […] confessée, absoute et mariée "
p. 103 " Tybalt qui, il y a moins d'une heure / est devenu mon cousin "
p. 112 " ta femme depuis trois heures "
p. 123 Mais au fait… quel jour est-on ? / Lundi (=> calcul rétrospectif)
" allons y pour jeudi "
Mardi III 5
IV 1
IV 2
IV 3 Aube : Adieux après leur nuit d'amour
Départ de Roméo.
Matin : Juliette apprend qu'on la marie à Pâris =>
Visite chez le Frère Laurent qui lui donne le narcotique => 42 heures du sommeil de la mort !
Juliette revient et feint d'accepter le mariage avec Pâris => son père avance le mariage au lendemain.
Tard le soir (heure ? ? ?) Juliette boit le narcotique " ce n'est pas l'aube " " le jour se lève "
" Holà ma fille êtes-vous levée ? "
" ma fille, jeudi matin de bonne heure […] le comte Pâris […] aura le bonheur de faire toi une joyeuse épouse… " p. 129
La Nourrice: " Voyez comme elle revient l'air joyeux de confesse "
Capulet " je veux que dès demain ce nœud soit noué "
Juliette : la parure qu'il convient que je porte pour la journée de demain ?
Lady Capulet : non pas avant jeudi, nous avons le temps.
Capulet : […] Demain nous irons à l'église
P 147 " Laisse moi seule cette nuit "
Mercredi IV 4
IV 5 Aube : préparatifs du mariage
La Nourrice découvre Juliette " morte "
Funérailles de Juliette " Le second coq a chanté ! […] il est trois heures " " ma foi il fait jour "
" va réveiller Juliette "
Les indications temporelles deviennent plus vagues. Mais il reste à prévoir…
• Le voyage de Balthazar parti prévenir Roméo
• L'achat de la fiole de poison à l'apothicaire
• Le voyage de retour de Roméo à Vérone
• Le sommeil de Juliette qui même s'il ne peut avoir duré les 42 heures annoncées ne peut tout de même pas être réduit à 24h
Jeudi V 1
V 2
V 3 Matin : Annonce de la mort de Juliette. Achat du poison.
Le soir, Frère Laurent apprend que Roméo n'a pas eu sa lettre et décide d'aller au tombeau
" au milieu de la nuit " mort de Pâris, de Roméo puis de Juliette " je partirai ce " soir " " Juliette, ce soir je dormirai à tes côtés "
" dans trois heures la belle Juliette va se réveiller "
p 167 " au milieu de la nuit "
p 175 " elle qui pendant deux jours est restée couchée là dans ce tombeau "
Vendredi V 3 Au petit matin : découverte des corps p. 176 " nous arrache au repos matinal "
p. 177 " tu t'es levé à l'aube / pour voir ton fils… "
" Sombre est la paix qu'apporte ce matin…
À vrai dire, et avant de passer aux interprétations, il n'y a pas que le délai de 42 heures qui pose problème. Quelques exemples :
- en II,4, la rencontre entre Roméo et la Nourrice se passe en plein midi (“l'obscène doigt du cadran solaire est en ce moment sur le point de midi.”) ; mais la scène suivante (II,5), où Juliette attend le retour de la Nourrice, se passe elle aussi en plein midi (“Maintenant le soleil est sur le plus haut mont / De son voyage de ce jour”), juste avant que la médiatrice n'arrive dix vers plus loin. Comment la Nourrice peut-elle être en même temps à deux endroits différents distants, selon Juliette, d'”une demi-heure” aller-retour et alors que la vieille femme met “trois longues heures” à faire le trajet ?
- en III,1, Roméo cherche à éviter le duel avec “ce Tybalt / Qui [il y a] une heure fut [s]on cousin” - ce duel a donc lieu une heure après le mariage. Mais c'est la même expression qu'utilise Roméo deux scènes plus loin, en III, 3 (“marié depuis une heure”) lorsque, bouleversé, il va se confier à Frère Laurent (III, 3 et III,1 seraient-elles donc... simultanées ?... :-) ). Quant à Juliette, elle se reproche, en III, 2, d'avoir meurtri l'homme dont elle est “[l]a femme depuis trois heures”. Bon, je veux bien croire que, en raison des circonstances, les personnages ont perdu leurs repères... ;-)
J'ai relu avec attention les actes et relevé les mentions du temps. Effectivement le vieux Capulet annonce Acte IV scène 2 "Je veux que dès demain matin ce noeud". On peut supposer qu'il a avancé le mariage, d'ailleurs il décide d'aller prévenir le comte. En même temps Lady Capulet dit à Juliette "Non pas avant jeudi". Bref la temporalité est confuse. Effectivement l'un des gardes au cours du dénouement parle des deux jours de Juliette dans le tombeau. On est donc Acte V, scène 3 jeudi soir puis vendredi matin puisque le prince parle de "repos matinal".
Bref, ce n'est pas si simple, je crois en effet qu'il s'agit de jongler entre le trop tôt trop tard pour étudier les effets d'accélérations qui vont entraîner la dramatisation.
je suis étonnée par vos analyses puisque Frère Laurent dit bien à Juliette de prendre la potion le mercredi soir. De plus le mariage doit avoir lieu les jeudi, les préparatifs de l'acte IV ont donc lieu, c'est logique le jeudi matin, c'est effectivement après que la temporalité est plus vague. mais si l'on considère les 42 heures de la potion, si Juliette l'a prise le mercredi soir -tout dépend de l'heure - mais on se retrouve bien le vendredi soir dans la nuit et c'est justement à ce moment-là qu'arrive Frère Laurent !
De plus lors de son récit il a appris "hier au soir" dit-il , donc le jeudi que sa lettre n'est pas arrivée.
Si je lis la pièce sans aucune idée préconçue, je comprends (mais apparemment j'ai tort, puisque j'ai toute la critique contre moi ;-) ) que la scène IV, 1 se passe bel et bien quelque part dans la journée du _mardi_ (“Mercredi c'est demain”, dit Frère Laurent au début de la longue tirade finale au cours de laquelle il offre la potion à Juliette), mais que la scène suivante, c'est-à-dire IV, 2, se passe, elle, le _mercredi_ soir.
Je ne comprends pas, en effet, pourquoi il faut postuler que le vieux Capulet a fait avancer la date du mariage : rien dans la pièce ne le suggère (ou alors j'ai mal lu), et seul notre besoin de lisser la chronologie nous conduit à avoir recours à un tel subterfuge. Et pourquoi faudrait-il donc concentrer le plus possible la temporalité de la pièce ? Ne serait-ce pas le façonnage de notre esprit par la règle de l'unité de temps dans le classicisme **français** qui nous conduit à essayer de chercher les mêmes principes dans le théâtre élisabéthain ?
Si je poursuis la lecture de la pièce en essayant de faire confiance au texte shakespearien, je conclus que, entre IV, 1 et IV, 2 il se passe une journée complète, la journée de mercredi (“c'est maintenant bientôt la nuit”, dit Dame Capulet à la fin de IV, 2), et que, au cours de cette journée de mercredi, il ne se passe rien du point de vue de l'action, que c'est en somme une journée dramatiquement vide.
oui, mais... le mariage est avancé au mercredi ! donc Juliette boit la potion le mardi avant de se coucher . Quelle heure ? 20h, 21, 22 23 minuit, 1h du matin, 2 h ?... de toute façon.. les 42 heures n'y sont pas . Car on sait, cf le texte que la dernière scène se passe la nuit, juste avant l'aube =>la logique est inopérante => il faut accepter l'idée d'un "temps hors du temps".
Effectivement, le jeudi est souvent avancé par les critiques dès qu'il s'agit de "borner" la fin de la pièce. Personnellement, je penche plutôt pour le vendredi matin. Pourquoi ?
- Fin de l'Acte IV : nous sommes le mercredi matin, je suis d'accord avec vous. "Il est trois heures" à la scène 4, lors des derniers préparatifs ; la nourrice a tenté de réveiller Juliette à l'aube (scène 5) et la fin de l'Acte annonce les funérailles, qui auront certainement lieu dans la matinée (?)
- Acte V : Roméo est averti du décès de Juliette par Balthazar et se prépare à partir sur-le-champ. A quel moment sommes-nous ? Je penche pour le jeudi matin, car il a fallu plusieurs heures au serviteur pour se rendre de Vérone à Mantoue à cheval . Si l'enterrement de Juliette a eu lieu dans la journée de mercredi, nous serions déjà le soir, peut-être aussi dans la nuit. D'autre part, Roméo fait allusion à la "flatteuse vérité du sommeil" au premier vers de l'Acte V : il peut s'agir d'un rêve qu'il vient de faire. Je ne pense pas que l'expression à laquelle vous faites allusion désigne la journée qui vient de s'achever (soit : le mercredi) ; il peut s'agir aussi de la journée à venir, dans sa potentialité ("And all this day an unaccustom'd spirit/Lifts me above the ground..."). Plus troublante en revanche pourrait être l'expression "I will hence tonight" (je pars d'ici ce soir) ; pour ma part, je l'entends comme avant ce soir, c'est-à-dire dans la journée. (?) Bref, selon moi Roméo sera de retour à Vérone le soir du même jeudi.
Mais on ne peut pas entièrement écarter le départ de Roméo dans la journée de mercredi, vous avez raison. Si l'on retient cette hypothèse, il faut alors raccourcir singulièrement le sommeil de Juliette : si l'on retient mercredi minuit pour son réveil (ou même une heure plus avancée de la nuit), il faudrait alors envisager un sommeil d'une vingtaine d'heures, ce qui est loin du compte, et conclure à une négligence de Shakespeare. Pourquoi pas ? Je crois bien que plusieurs critiques ont opté pour cette solution. A partir de ce montage, en tout cas, la fin de la pièce a bien lieu jeudi matin.
Votre analyse est intéressante. Mais pourquoi pas situer le dénouement jeudi matin ?
- Juliette boit la potion mardi soir (acte IV, sc. 3)
- l'acte IV se finit à l'aube du mercredi 17 juillet.("il est trois heures ; il fait jour")
- Acte V, scènes 1 et 2 : ?? la journée de mercredi ? Roméo dit "Et toute la journée" (donc une seule..)
- V, scène 3 : on est la nuit ("Nuit, cache-moi ; Tôt demain matin"), donc de mercredi à jeudi ? Fin le jeudi matin.
On perd la symbolique du vendredi matin ; mais les autres éléments, qui n'ont que faire de la vraisemblance, restent exacts. Et on resserre l'action.
J'ai, moi-même, buté sur cette question. Je suis parvenu à la conclusion suivante : en fait, le temps de la fiction, s'il était appliqué de manière rigoureuse, ne pourrait aboutir qu'à une incohérence : si Juliette absorbe la potion dans la nuit du mardi au mercredi (avant matines, au plus tard, c'est-à-dire vers 2 heures du matin), et si l'on applique le temps de 42 heures, elle ne peut se réveiller que dans la journée de jeudi, vers 20 heures. C'est-à-dire qu'il fait encore jour, puisque nous sommes au mois de juillet.
Ma conclusion serait donc la suivante : le temps "réel" (entendu comme le système temporel appliqué dans sa cohérence interne au sein de la fiction) importe moins que le temps symbolique : il est à la fois sensible dans le jour choisi pour la fin de la pièce, le vendredi à l'aube (avec ce que cette mention comporte de signification religieuse) et, également, dans la présence constante de la nuit au moment de l'Acte V (arrivée de Pâris, de Roméo, de frère Laurent, réveil de Juliette, mort du couple, scènes nocturnes, donc, au mépris de la vraisemblance du moment et de la durée, mais dans une esthétique qui annonce la sensiblité romantique).
3) The book
Je ne suis pas implacablement convaincu par la distinction "book/ Book" (le public n'entendant pas les majuscules !) ni par la nécessité pour l'auteur d'éviter les références religieuses dans un texte où notre collègue F. Salé a très bien montré leur surabondance... Quant à la formule de Mercutio, "by the book of arithmetic", elle détourne plutôt la valeur idéaliste de l'expression, par un emploi prépositionnel - et non plus absolu - propice à une pointe : dans une ultime insulte, le bretteur (hostile à toutes les nouvelles modes cf. II, 3, l.18-45 Laroque) épingle l'adversaire sans valeur qui obéit à d'autres normes que celles du combat loyal.
Plusieurs indices me semblent faire obstacle à la lecture ironique de la réplique de Juliette :
- Le baiser suffit à unir sa destinée à celle de son "pèlerin", puisqu'il ne lui faut que 4 vers pour ajouter "Alors dans la tombe je serai déflorée" : le serment tragique s'accomode mal de la moquerie, aussi ringardes que soient les notions de cohérence aristotélicienne, de caractère ou encore de psychologie...
- le jeu pétrarquisant que la puella entretient avec Roméo me semble plutôt porteur d'une ironie tragique et involontaire : elle s'amuse (au sens noble et étymologique du terme ad musam, "se dédier à la Muse"; cette inspiration continuera, cf. II, 3, l.210) à renouveler le dialogue entre Laure et son érudit assaillant. Mais elle commet la faute de laisser l'échange basculer dans le "péché" ou la révélation du baiser (I, 5, 106), qui suspend son discours et attache fatalement cette "nouvelle Laure" à son serviteur.
Ce passionnant sujet de discussion ayant aiguisé ma curiosité, je suis allée demander conseil à ma collègue angliciste de khâgne, fine connaisseuse de Shakespeare.
Sa traduction : vous êtes un expert en baisers, vous voilà bien versé dans l'art du baiser.
Pour elle, toute interprétation religieuse est exclue.
En effet :
C'est "book" et pas "Book".
C'était mal vu de faire des références religieuses trop explicites (cf statut du théâtre) et Shakespeare était quelqu'un de très prudent.
Il s'agit d'une parodie du sonnet Pétrarquisant (le "bookishness" du sonnet convenu) et c'est méprisant cf III i 103 : "a villain that fights BY THE BOOK of arithmetic" (J se moque de R : il sait "TROP BIEN " embrasser : un peu TROP expert pour être vraiment honnête peut-être...).
J'avais étudié cette scène avec des élèves (cf ci-dessous) et pour moi cette réplique est ironique, tout ce qui précède le montre, car Roméo dissimule sous un discours précieux (teinté de "néo-platonisme") son envie du "baiser" et Juliette montre qu'elle a de la répartie ("pieux baiser"), qu'elle n'est pas qu'une oie blanche, malgré sa virginité, en effet il me semble qu'elle tente de calmer ses ardeurs en l'invitant à se tenir tranquille, mais sa dernière réplique : "vous embrassez en érudit", témoigne aussi en même temps du plaisir qu'elle a éprouvé, de son admiration face au "stratège de l'amour" qu'est Roméo... cette polyphonie me semble représentative du drame élizabéthain, j'avoue avoir du mal à y voir de la distanciation qui ne concernerait que le spectateur...
(cf traduction de Desprats ):
A ma connaissance, "to do sth. by the book" signifie encore aujourd'hui "agir en suivant la lettre (de la loi), conformément à la règle" : Juliette la vierge loue donc Roméo pour l'exemplarité d'un baiser qu'elle ne peut comparer qu'à l'aune de ses références livresques et à ses premiers rêves pubères (cf. I, 3 v. 66 éd. Laroque). La double énonciation rend donc le compliment ambigu : Roméo se voit reconnu comme un amant parfaitement courtois tandis que le spectateur, partagé entre admiration et distanciation (déniaisé qu'il est par les remarques de la Nourrice !), observe une rencontre qui exalte la sensibilité pétrarquiste des amants, jusqu'ici frustrée (les notes de l'éd. Laroque sont excellentes sur ce point et je recommande un groupement de textes du Canzoniere avec les Sonnets pour éclairer les élèves). Mais avec Shakespeare, on n'a jamais fini d'hypersémantiser : le Harraps précise que "the good Book" renvoie à la Bible : le baiser de Roméo le "pèlerin" est donc bel et bien "biblique", au sens le plus complet et le plus perverti de l'expression, comme pour mieux souligner le détournement des signes et des vertus religieuses dans la pièce...
4) Shakespeare, Roméo et Juliette I,4
Roméo Montaigu est un jeune homme mélancolique de Vérone (une ville de la région de Venise), il est amoureux de Rosaline. Pour le distraire, ses amis l'emmènent à une fête,( où ils ont été invités à la suite d'un quiproquo) qui se tient chez les Capulet, les mortels ennemis des Montaigu, où doit aussi être présente Rosaline qui est une Capulet. Roméo déguisé danse avec une jeune fille qu'il ne connaît pas mais dont il tombe éperdument amoureux.
Roméo :
Si je dois profaner [1] de mon indigne main
Ce saint reliquaire [2], voici plus doux péché :
Mes lèvres adouciront, rougissants pèlerins [3],
Ce rude attouchement par un tendre baiser.
Juliette :
Bon pèlerin, vous faites trop de tort à votre main,
Qui ne fait que montrer dévote [4] honnêteté,
Car les saints ont des mains que touchent les pèlerins
Et paume contre paume est leur pieux baiser.
Roméo :
Saints et pèlerins ont des lèvres aussi ?
Juliette :
Oui, pèlerin, dont ils se servent pour prier.
Roméo :
Chère sainte, lèvres et mains fassent ainsi :
Elles prient (exauce-les) ; que leur foi ne soit pas désespérée.
Juliette :
Les saints ne bougent pas, exauçant les prières.
Roméo :
Ne bouge pas, je prends l'objet de ma prière.
De mes lèvres, tes lèvres ont lavé le péché.
Juliette :
Alors mes lèvres ont le péché qu'elles vous ont pris.
Roméo :
Un péché sur mes lèvres ? faute doucement reprochée !
Rendez-moi mon péché.
Juliette :
Vous embrassez en érudit [5].
La nourrice :
Madame, votre mère désire vous dire un mot.
Roméo :
Qui est sa mère ?
La nourrice :
Par Notre-dame, jeune homme,
Sa mère est la maîtresse de cette maison,
C'est une dame digne, et sage et vertueuse.
J'ai nourri sa fille, à qui vous parliez.
Je vous le dis, celui qui mettra la main dessus
Aura la tirelire [6].
Roméo :
C'est une Capulet!
Oh ! terrible créance ! Ma vie devient la dette de mon ennemi.
Vous répondrez aux questions suivantes dans l'ordre en vous appliquant à rédiger des paragraphes de 5 à 10 lignes( sans les numéroter), s'appuyant sur le texte et son analyse.
I- Une scène de séduction sensuelle. (6 pts)
1) Que veut obtenir Roméo de sa cavalière ?
2) Comment exprime-t-il sa demande ?
3) Comment Juliette réagit-elle ?
II-La parodie de l'amour précieux. (6pts)
1) A quoi sert le champ lexical de la religion ?
2) Comment les deux personnages s'adressent-ils la parole ?
3) Quel effet crée l'intervention de la nourrice ?
III- Une scène de drame élizabéthain. (6pts)
1) Une scène lyrique.
2) Une scène comique.
3) Une scène où point le tragique.
5) La danse macabre
Je pense que plus que de la danse macabre, il s'agit du thème de la "jeune fille et la mort" : motif répandu dès le Moyen Âge, développé à l'époque de la Renaissance, décuplé par le Baroque... et que l'on trouve dans de nombreux tableaux, comme ceux de Baldung Grien (1515 à peu près) : la Mort (un vieillard décharné) étreint et entraîne la jeune fille. C'est exprimé très vite dans la pièce, de mémoire je dirais qu'on le trouve dans la scène du bal, lorsque Juliette lance l'idée d'être déflorée dans la tombe, le motif est repris par la mère de Juliette puis par son père lorsqu'il la croit morte ou encore par Pâris. Roméo aussi voit la Mort comme un rival. La Mort est en effet masculin en anglais (comme en allemand je crois bien, et comme en grec)
La danse macabre est plus le thème selon lequel la Mort n'épargne personne et entraîne dans une ronde tous les vivants, quels qu'ils soient : une ronde alternant Mort et Vivant. il ne me semble pas vraiment que ce soit le cas dans notre pièce.
Ici c'est plus le topos d'Eros et Thanatos.
En fait la plupart des noms communs sont neutres mais certains ont un genre, par exemple ship le bateau est féminin. Et pour ce qui est de Death, il est masculin en littérature (il s'agit pê d'une personnification, je ne sais pas vraiment) D'ailleurs dans le texte anglais death est accompagné de l'adjectif his ou remplacé par le pronom him. Je rechercherai les vers mais je le rappelle de mémoire car on s'était en effet posé la question l'an dernier avec mes élèves.
Je profite de ce message pour rectifier une petite inexactitude dans mon message précédent : je parlais du tableau de Baldung Grien et ai utilisé le mot "vieillard décharné", il ne s'agit pas d'un vieillard mais de ce qu'on appelle un transi c'est à dire un cadavre, à moitié en décomposition (ce n'est pas un squelette...) Il s'agit donc bien de la Mort (ce que n'est pas un vieillard)
Après vérification voici les vers qui confirment le genre du mot Death :
Acte IV scène 5 Capulet devant Juliette qu'il croit morte dit à Pâris :
O son, the night before thy wedding day
Hath death lain with thy wife. There she lies,
Flower as she was, deflowered by him
Death is my son-in-law, death is my heir,
My daughter he hath wedded. I will die,
And leave him all ; life, living, all is deatrh's.
Ô fils, la nuit d'avant ton mariage
C'est la Mort qui a couché avec ta femme. Elle est étendue là,
Fleur qu'elle était, déflorée par la Mort.
la Mort est mon gendre, la Mort est mon héritier.
ma fille, elle l'a épousée. Je veux mourir,
Et tout laisser ; vie, train de vie, tout est à la Mort.
ou encore Acte V scène 3 Romeo devant Juliette morte dit :
Shall I believe
that unsubstantial death is amorous,
and that the lean abhorred monster keps
thee here in dark to be his paramour ?
Dois-je croire
que la Mort insubstantielle est amoureuse,
et quece monstre abhorré te garde
ici dans le noir pour que tu sois son amante ?
L'anglais distingue deux "death":
- l'acte de mourir, et dans ce cas le nom est du genre masculin; par exemple, dans la phrase: "His death was sudden". (et permet la personnification: "Death came calling in the night")
- la façon de mourir, et alors le nom est du genre neutre, comme dans "He suffered an horrible death"
(à noter queTod en allemand est aussi masculin; le thème de Mort, sous les traits d'un homme, d'un vieillard ou d'un transi, qui étreint ou enlève une jeune fille est fréquent dans la littérature, la peinture et la musique allemande; on le retrouve ainsi chez Paul Celan et chez Egon Schiele: http://www.museumonline.at/1997/schulen/neustadt/seite12.htm)
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